En ce jeudi soir, dans la splendide salle Henry Le Bœuf de Bozar, se rassemblent plus de 120 musiciens pour faire gronder une orageuse Messa di Requiem de Giuseppe Verdi. À l’instar des œuvres sacrées de Rossini, ce Requiem est, malgré sa ferveur, une véritable ode à la voix dans ses aspects les plus dramatiques et ses airs, tous plus périlleux les uns que les autres, penchent fréquemment vers les plus grandes scènes des opéras du compositeur italien. À la tête de l’Antwerp Symphony Orchestra et du rutilent Collegium Vocale Gent, Philippe Herreweghe empoigne avec passion cette messe des morts afin de magnifier tous ces aspects.
On se demande tout de même comment les minuscules gesticulations du chef belge peuvent induire de si grands arcs dramatiques. Le dos courbé, les bras le long du corps, les coudes pliés, agitant frénétiquement les mains : on ne peut pas dire que Herreweghe soit particulièrement éloquent sur son podium. Malgré tout, avec une aisance déconcertante, la formation belge s’engouffre instinctivement dans les accents formidablement lyriques de cette partition. Les timbres de l’orchestre reluisent tous d’une égale brillance et s’articulent avec souplesse. On admire également la mise en place absolument parfaite des différents pupitres autant dans les tuilages et que dans l’équilibre général, qui ne subit pas le moindre moment de faiblesse au cours du concert. En plus de cette irréprochable beauté plastique, on goûte l’insolence qui anime certains phrasés des cordes et des bois : dans la tension de chaque tenue, dans l’éclat des aigus, on retrouve tout ce qui fait le charme de la musique de Verdi.
On nourrira moins d’enthousiasme pour le quatuor de solistes. Ces quatre parties sont parmi les plus redoutables du répertoire vocal ; exigeant chacune une tessiture titanesque, un legato à toute épreuve et une grande expression dramatique. Le Libera me final, véritable épreuve de bravoure pour la soprano, aura mis Eleanor Lyons en difficulté. Ses fréquents différends avec la justesse et le manque d’homogénéité de sa voix se rattrapent heureusement par un legato exemplaire et un dramatisme exacerbé. Elle donne ainsi véritablement corps au texte sacré, comme ses « tremens » et son « Libera me » qu’elle scande avec puissance, le visage effaré. Sa consœur Sophie Harmsen paraît également en difficulté en de nombreux endroits de la partition. Sa voix de mezzo-soprano plutôt légère peine à s’épanouir dans les lignes verdiennes en partie à cause d’un legato à trop court terme et d’un grave assez faible. On peut tout de même souligner la beauté intrinsèque du timbre et la finesse de son interprétation qui épouse avec beaucoup de sensibilité les inflexions de l’orchestre comme des autres solistes.