C'est toujours la même chose : on peste toute la journée à l'idée d'aller écouter une fois de plus Le Sacre du printemps, comme s'il n'y avait que cette œuvre de Stravinsky à programmer et, dès l'entrée du basson, on est happé par cette musique qui impose sa jubilation, sa pulsation... irrésistiblement. Et puis ce soir est important dans la carrière de Lahav Shani. Né en 1989, le jeune chef a tenu à diriger le Sacre pour sa première venue à Paris avec l'Orchestre philharmonique de Rotterdam (dont il est le nouveau patron depuis qu'il a succédé à Yannick Nézet-Séguin), dans ce fameux Théâtre des Champs-Élysées où Pierre Monteux en avait dirigé la création, le 29 mai 1913.
Si le Sacre déçoit rarement de nos jours (les orchestres et les chefs ont fini par en surmonter les difficultés instrumentales et rythmiques), ce soir, Shani va bien au-delà de la mise en place, de la démonstration de virtuosité à laquelle succombent ces chefs qui n'ont retenu que cela des légendaires interprétations publiques de Pierre Boulez. Que fait-il donc ? Shani interprète, prend des risques à la tête d'un orchestre que l'on ne maltraitera pas en affirmant qu'il n'est ni le plus parfait ni le plus individuel qui soit, mais qu'il a les ressources techniques pour surmonter les difficultés de cette œuvre coriace. Les musiciens font montre d'un engagement individuel et collectif qui les fait se hisser là où d'autres plus illustres ne parviennent pas toujours : ils suivent leur chef jusqu'au bout de ce qu'il leur insuffle et leur demande. Un reproche ? Certes pas, juste une remarque : ce jeune chef qui dirige au milieu des musiciens devrait un peu moins bouger s'il ne veut pas être victime un jour ou l'autre des problèmes de dos qui gâtent la vie de tant de ses confrères – ce qui l'aiderait à être plus efficace encore qu'il ne l'est déjà. Triomphe du public qui n'en croit pas ses oreilles et acclame longuement le chef, visiblement ému par cet accueil chaleureux, et les Rotterdamois, chanceux d'avoir un tel directeur musical.
Le concert avait commencé par une Symphonie n° 104 de Haydn, la dernière des « londoniennes » et son ultime symphonie, jouée quasi senza vibrato, comme les orchestres symphoniques « modernes » le font de nos jours de plus en plus souvent. On ne dira pas avoir été totalement convaincu, particulièrement par le « Menuet » qui manquait de cette liberté rythmique joueuse qui le caractérise particulièrement, mais le « Finale » était spirituel, enlevé, théâtral, enjoué de façon à répondre à un premier mouvement plus solennel, majestueux et sombre. Dans l'acoustique claire des Champs-Élysées, depuis le premier balcon, on s'est régalé des interventions de chaque pupitre de vents, du timbalier, et l'on a admiré l'articulation merveilleusement alerte des cordes – particulièrement des contrebasses et violoncelles. Manquait juste un élan souterrain pour coudre ensemble les mouvements.