« Je ne crois pas qu’il puisse y avoir une fin au renouveau baroque », déclarait encore récemment Ton Koopman, non sans une fierté qu’on ne pourrait qualifier de mal placée. Parés depuis deux bonnes décennies d’une solide crédibilité, dotés d’une technique n’ayant plus à rougir de la comparaison avec les instrumentistes classiques, et tributaires d’un répertoire encore à redécouvrir, les « baroqueux » s’immiscent progressivement sur des terrains insoupçonnés – le parcours de Gérard Lesne est à ce sujet éloquent.
Aussi pouvait-on se réjouir d’assister à un tel programme, constitué de vrais « tubes » de la musique savante, du baroque le plus expressif à la symphonie beethovenienne – sans doute la moins novatrice, mais tout de même ! – sous la direction d’un des grands représentants de ce renouveau baroque. Lui qui fit mentir, dès la majestueuse Ouverture de la Suite n°3 en ré majeur (BWV 1068) l’adage selon lequel la musique baroque « se dirige toute seule ». La gestuelle, physique, ondulante de Ton Koopman insufflait à la Suite canonique la même énergie, le même sens du contraste, et la même sensualité que dans les Cantates – dont il s’était, avec Harnoncourt, fait le spécialiste. L’effectif réduit permit non seulement aux musiciens du Philharmonique de prouver leur solidité dans ce registre impliquant notamment un usage différent de l’archet et moindre du vibrato, mais également aux voix dans leur ensemble de faire entendre à la fois leur indépendance et leur interdépendance. « Les voix vivent leurs vies bien séparées […]. Chacune d’entre elles est toujours seule, séparée et individuelle. “Je suis moi, dit le violon, le monde tourne autour de moi “, “ Autour de moi “, crie le violoncelle, “ Autour de moi “, insiste la flûte. Et tous ont également raison et également tort. », écrivait Aldous Huxley pour dire le fourmillement de cette polyphonie-là, entre organisation scrupuleuse et volubilité, loin de la froideur dont on a pu affecter le cantor de Leipzig. Fourmillement difficile à retranscrire pour un orchestre trop imposant, et qui s’avéra ici particulièrement intelligible.