« Je n'ai pas eu le temps de me préparer. Pas une seconde ! » En septembre 2019, Dominique Meyer a été informé qu'il allait prendre ses fonctions de directeur général du Teatro alla Scala en décembre, avec plus d'un an d'avance sur le calendrier prévu, à la suite du départ prématuré de son prédécesseur Alexander Pereira. Pendant six mois, il s'est ainsi trouvé dans une position unique, à la tête simultanément de La Scala et de l'Opéra d'État de Vienne. Puis, le 21 février, l'Italie a connu son premier cas de Covid-19 : il ne pouvait pas s'attendre à un tel début. « Bien sûr. Mais c'était vraiment la même chose pour tout le monde dans mon métier. Je ne me plains pas parce que cela n'aide pas. Évidemment, il y a eu des moments difficiles. »
Le fait de devoir fermer « ces deux géants » à quelques jours d'intervalle ne fut pas le moindre de ses soucis, mais il admet trouver ces problèmes intéressants. La première priorité était de protéger les employés. « La santé est la chose la plus importante à mon avis. La seconde était de sécuriser leurs revenus. Maintenant, je me suis spécialisé dans la gestion de ces tâches en allemand et en italien ! Ici, par exemple, nous avons passé un très bon accord avec les syndicats. » L'aide conjointe du gouvernement et des mécènes de La Scala lui a permis de maintenir les salaires à 80% de leur montant d'avant l'apparition du Covid-19. Le plus difficile a été de trouver le moyen de rémunérer les solistes de passage : en temps normal, il n'est pas autorisé à les payer lorsque les représentations sont annulées.
Dans une saison normale, explique-t-il, le budget de La Scala serait de 130 millions d'euros, dont 35 millions proviendraient de la vente de billets. En 2020, le Covid-19 a fait un trou de 30 millions dans la billetterie, mais ils ont quand même réussi à atteindre le seuil de rentabilité. Il s'estime chanceux : « Ici, nous avons été gâtés car nos mécènes sont très proches du théâtre : personne n'a décidé de se retirer. Ils ont été très chaleureux, très positifs, et chacun a essayé de rester avec nous. »
Dominique Meyer a de l'expérience en matière de dépannage. Économiste universitaire âgé de 25 ans, il est engagé par Jacques Delors en 1980 au Ministère de l'Économie et des finances. Il voit venir la révolution du CD et déclare alors au gouvernement : « “Si nous ne faisons rien, il n'y aura plus de fabricants de CD en France et des emplois seront supprimés.” Quatre ans plus tard, nous avons ouvert la deuxième usine de CD au monde et elle existe toujours, à Averton, dans l'Ouest de la France. » Jack Lang, le célèbre Ministre de la Culture, en prend note. Estimant que les sciences économiques sont de plus en plus importantes dans la culture, il recrute le jeune économiste mélomane. « J'y suis donc allé. Ma vie a toujours été un mélange de sciences économiques et de culture, j'aime cela ! »
Meyer voue une admiration évidente à Jack Lang pour sa connaissance encyclopédique de toutes les formes de culture et pour sa volonté de faire confiance aux jeunes dans le travail. Il passe les années suivantes à résoudre des problèmes pour lui, rénovant les systèmes de financement du cinéma, supprimant les restrictions imposées aux musées parisiens qui les empêchaient d'organiser de grandes expositions. Il est particulièrement fier de la création d'Arte, en 1992. « Je suis né en 1955, peu de temps après la Seconde Guerre mondiale. Notre souhait est évidemment qu'il n'y ait plus de guerre entre la France et l'Allemagne, et nous avons pensé à créer ensemble une chaîne de télévision culturelle commune. » Meyer et Lang sont tous deux nés en Alsace-Lorraine, le foyer historique du conflit franco-allemand : le ton de sa voix ne laisse aucun doute quant à l'importance affective du projet pour lui. Il commence à s'intéresser à la gestion d'un opéra en 1989, lorsqu'il est parachuté pour s'occuper de l'Opéra de Paris et de son projet de construction alors en difficulté : l'Opéra Bastille. Le bâtiment devait être ouvert à temps pour le bicentenaire de la prise de la Bastille, le 14 juillet, et les choses se présentaient mal. « Le président Mitterrand avait invité 34 collègues. Il y avait Margaret Thatcher, George Bush et toutes ces personnalités avec la sécurité. C'était un travail intéressant. »
L'Opéra Bastille ouvre à temps, mais Meyer quitte ses fonctions après seulement deux ans. « Je me trouvais trop jeune et je voulais aussi être responsable de la partie artistique d'un opéra. Mon rêve était de trouver une petite maison d'opéra. » Ce rêve se concrétise à l'Opéra de Lausanne pour ce qui restera, selon lui, l'une des meilleures périodes de sa vie – même si elle s'est rapidement terminée, lorsqu'il n'a pas pu résister à la chance de revenir à Paris pour diriger sa salle de concert préférée, le Théâtre des Champs-Élysées.
Plusieurs emplois plus tard, ses projets pour La Scala sont à l'image de sa double discipline, les arts et l'économie, et de son désir de faire progresser la jeune génération. Depuis quinze ans, explique-t-il, le théâtre a mené une politique de recrutement adaptée et compétitive, et cela a porté ses fruits : « Nous avons une équipe fantastique avec des jeunes très bien formés, très bons, très ouverts. J'ai donc pensé que maintenant, nous devions imaginer ce que sera La Scala quand ils seront en charge du théâtre, et je veux la créer avec eux. » De nombreux modes de fonctionnement sont quelque peu démodés, dit-il, et il insiste pour que les jeunes employés soient inclus dans les réunions de gestion du changement. Il s'intéresse également à la fois à la technologie et à l'écologie : « J'ai observé que nous consommions dix tonnes de papier chaque année. Pouvez-vous l'imaginer ? Trop souvent, j'ai à signer le même papier trois fois de suite. Je dois signer ici plus qu'à Vienne, qui a trois ou quatre fois plus de contrats ! »