« Si j'étais menacé de voir brûler mon œuvre entière moins une partition, c'est pour la Messe des morts que je demanderais grâce. » Berlioz ne s’est jamais gardé de cacher sa passion pour son propre Requiem. Il faut dire que lui mieux que personne pouvait prendre la mesure de sa démesure. Œuvre colossale, commandée en 1836 par le Comte de Gasparin alors Ministre de l’Intérieur français, cette Grande Messe des morts fut composée en quatre semaines seulement. Le succès retentissant de sa création en 1837 faisait déjà écho au gigantisme de sa structure : 10 mouvements, 90 minutes, et pas moins de 400 musiciens et chanteurs réunis pour l’occasion. Berlioz précisait d’ailleurs sur sa partition que « ce nombre est relatif et si possible, si la place le permet, il faut doubler ou tripler le nombre de voix et augmenter le nombre d’instruments dans les mêmes proportions ».
Ce 22 janvier 2014, c’est un véritable hommage qui a été rendu à ce trésor du patrimoine musical, devant les 1200 spectateurs de l’enceinte sacrée de Notre-Dame et les nombreux internautes qui ont bénéficié d’une rediffusion live sur France Musique, ArteLive web et sur nouvOson en format binaural (permettant la spatialisation du son).
L’œuvre elle-même, pour laquelle quatre fanfares sont systématiquement disposées aux points cardinaux de la salle, suffisait presque à vaincre l’hostilité acoustique du lieu. Pour effacer les doutes, les 160 chanteurs du Chœur de Radio France et de la Maîtrise de Notre-Dame étaient ce soir-là accompagnés d’un dispositif orchestral conséquent et de grande qualité, avec 220 musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France au complet et de l’Orchestre Symphonique Simón Bolívar : 8 bassons (contre 3 dans la plupart des interprétations), 8 paires de timbales (au lieu de 2), 12 cors, 88 instruments à cordes (la taille d’un orchestre symphonique complet)...
Ce rassemblement d’exception, mené par le chef Gustavo Dudamel au succès médiatique éclatant, n’excluait pas la crainte d’une surinterprétation de l’œuvre. Mais avec rigueur et mesure, le maestro vénézuélien a rassuré les mélomanes las des lectures brillantes et triomphantes, souvent associées à tort à l’intensité recherchée dans l’écriture berliozienne. C’est sans cérémonie et dans une solennité remarquable que les musiciens sont montés sur scène. Entre recueillement et concentration, ils s’apprêtaient à honorer l’œuvre elle-même, l’immensité architecturale et acoustique de Notre-Dame, ainsi que Claudio Abbado décédé deux jours auparavant, un maître pour Dudamel et son orchestre vénézuélien.