Soudain l'auditeur comprend que rien ne sera simple sous les doigts de Cristian Budu, pianiste brésilien, invité par le Festival international de piano de La Roque d'Anthéron à participer au grand hommage que René Martin a voulu rendre à Nelson Freire, mort le premier novembre 2021, et dont nous vous parlerons bientôt. Le musicien, vainqueur du Prix Freire en 2010 et du Prix Haskil en 2013, a choisi l'Arabesque de Schumann pour ouvrir son récital dans le Centre Marcel Pagnol, fort heureusement climatisé car la chaleur cette année n'est pas loin d'être intolérable. D'emblée, cette pièce ne coule pas sous ses doigts comme cette mélodie toute simple, fluide, lisse, empreinte d'une nostalgie souriante que l'on connaît, mais sera drue, articulée dans le gras du piano, nuancée du quintuple pianissimo au mezzo forte, plutôt inquiète, interrogative. C'est d'autant plus convaincant que le jeu de Budu fuit toute affèterie : il est même austère tendance sombre et ombrageuse. Tant et si bien qu'on se dit que ce modeste opus 18 aurait pu trouver sa place dans les Kreisleriana qui suivent.
Le pianiste se lance dans l'opus 16 avant même d'être rassis et sans effectuer cette levée au commencement de la première pièce que tant exagèrent bien qu'elle n'existe pas dans la partition ! Budu va jouer les huit pièces qui composent cette œuvre avec une maîtrise du temps musical, des atmosphères, des contrastes, de la rythmique si particulière et parfois inconfortable du compositeur, avec une évidence jamais contrariée dans son épanouissement par l'originalité de sa lecture. Son jeu d'une profondeur abyssale donne une densité insoupçonnée jusqu'ici au piano Bechstein qu'il joue. Budu réussit à murmurer tout en gardant du timbre au son, à articuler, à phraser de façon très émouvante, pas parce qu'il surcharge la musique d'intentions, surtout pas !, mais bien parce qu'il fait surgir la musique des notes, des accords, des rythmes qu'il ordonnance de façon impérieuse mais invisible, comme s'il improvisait. C'est grand, digne d'Arrau dans sa cinquantaine, de Nelson Freire bien sûr qui admirait ô combien son jeune compatriote ou de quelque grand chef du passé alla Furtwängler. Grand et inoubliable, comme les Estampes de Debussy qui évacueront tout hédonisme sonore, genre frôlements et frissons du clavier, pour aller au cœur de cette musique mystérieusement évocatrice et tragique. Ce pianiste est un harmoniste et un polyphoniste qui chante comme un baryton-basse, pas comme un ténor. Puis c'est la fête avec Impressões Seresteiras et Festa no Sertão de Villa-Lobos, mais ces échos du fin-fond du Brésil sont moins échevelés sous ses doigts que dignes descendants d'Iberia d'Albéniz.