Pour pénétrer dans l’univers de Georges Benjamin, acceptons d’éprouver l’impermanence des climats, l’impermanence d’une écriture qui joue un peu de sa virtuosité. C’est d’autant plus vrai qu’elle est menée par Bejun Mehta, chantre titulaire de Dream of the Song, à la voix étonnamment élastique. Avec une œuvre telle que la 1e Symphonie de Brahms – et, dans une moindre mesure, le Prélude de Parsifal –, c’était également l’occasion pour Daniel Harding et l'OP de laisser de côté l’enveloppe pour densifier la pâte orchestrale et faire chanter les voix intérieures. Il s’en est magnifiquement tiré.
Aucune fraîcheur ici ne nous accueille, aucune innocence, mais un gigantisme latent. Opacité, inertie, le Vorspiel de Parsifal réunit en lui les attributs les plus frappants d’un art de la pesanteur. Cette pesanteur peut prendre maint visage : le premier et le plus frappant relève de l’obsession, ici poussée à son extrême, de l’homogénéité, du fondu des timbres (dans son sens le plus sidérurgique). Ce que Harding savoure ici, c’est cette vision d’un immense lit de fonte, qui efface une à une les frontières, les aspérités. Vision qui a le mérite de ne pas être arrêtée par une détermination particulière (fracture du son, départs multiples) et donc de pouvoir se transformer sans fin, sans se laisser cantonner. En cela, sa lecture de Wagner se rapproche de celles de Celibidache : quand les différents timbres de l’orchestre, cessant de s’opposer les uns aux autres, se réunissent. Harding nous fait accéder à ce fond indifférencié des choses, qui par là même s’ouvre à la transformation, et donc à un cheminement, imprime une direction.
Quelle œuvre que Dream of the Song ! On y trouve les qualités de verdeur et de fertilité d’un Chant de la Terre, mais transposées à notre siècle. Voici une œuvre consciente de sa fugacité, et qui en joue : les choses ne nous font plus directement obstacle comme dans Wagner mais nous glissent entre les doigts ; à l’infiniment obturé succède l’infiniment fuyant. L’écoute se focalise sur la joie d’éprouver : on pourra parler d’exotisme (notamment de vibraphones frottés comme un glass harmonica), mais sans que rien n’y soit jamais forcé. On est là en présence d’une variété qui reste maîtresse d’elle-même et ne dégénère jamais en frénésie.