À travers l’Orient fantasmé des compositeurs français, c’était un autoportrait vocal que nous offrait la soprano Sabine Devieilhe, mardi soir à la Philharmonie de Paris. À ses côtés, François-Xavier Roth dirigeait son ensemble Les Siècles, reprenant ainsi le programme du superbe disque "Mirages" venant de paraître chez Erato-Warner.
On ne dira jamais assez combien la seule délectation des timbres peut multiplier le plaisir de l’auditeur. Ce bonheur sonore, on l’a ressenti une fois de plus chez Les Siècles, et ce, dès l’Ouverture de Mignon. Si la facture instrumentale est une chose, elle n’explique pas tout, et certainement pas l’aisance, l’incroyable impression de complémentarité sonore qui ressort de ces pupitre pourtant si variés. Mus par une saine énergie, jamais chichiteuse ou outrancière, ces soixante musiciens n’en finissent pas de vivifier un répertoire que l’on aurait cru il y a encore vingt ans insignifiant ou suranné. Là où des ensembles comme le musicAeterna de Currentzis se complaisent dans une approche faite de staccato et de tensions, Les Siècles conservent générosité, rondeur et rebond souple. Abolissant cette sensation de raideur millimétrée qui pénalise certaines approches historicistes, François-Xavier Roth fluidifie la ligne, laissant une marge d’autonomie à ses musiciens. Il ne dirige pas par-à-coups, mais fait circuler un flux vital parmi les pupitres. Sa main ondule dans l’air comme une pagaie, accompagnant jusqu’au bout de son sens une ligne qui, dans ce geste, n’en finit pas de se régénérer. Parfois, un élan jubilatoire rassemble l’ensemble de ces musiciens dans ce qui ressemble à une onde de choc. Le souffle produit sur le parterre d’auditeur est alors considérable. Partout, l’empathie musicale est à son comble, et les tutti les plus pompiers y gagnent une dimension supplémentaire, mieux : une raison d’être. Les concerts des Siècles ne sont pas simplement les plaidoyers d’une méthode ou d’un répertoire ; c’est tout un esprit du concert qu’ils défendent.
On serait bien en mal de donner un âge aux Quatre Poèmes hindous de Maurice Delage. Si l’ingéniosité des alchimies de timbre (Lahore : Un sapin isolé) aimante l’oeuvre vers une modernité encore à venir, la proximité stylistique avec les Trois poèmes de Mallarmé Ravel suggère les années 1910. Une remarque du même ordre vaudrait pour Sabine Devieilhe, dont la maturité de la technique, la patine, semble contrecarrer la jeunesse (encore audible, pour notre plus grand plaisir) de la voix. L’endurance du détail, donc de la concentration, a beau couper le souffle, c’est à peine si l’effort est perceptible. De la Princesse Jaune à Ophélie, les rôles se succèdent, mais aussi mirobolante soit-elle, la virtuosité n’y est jamais une fin en soi. Rien de démonstratif ne vient troubler le ton, d’une inébranlable sérénité.