Un concert de Grigory Sokolov n’est pas qu’un récital, c’est un rite. Ce ne sont pas de simples mélomanes qui ont pris place dans la salle Henry Le Bœuf plongée dans l’obscurité en attendant l’arrivée du toujours impassible officiant qui arrivera drapé de mystère sur la scène à peine éclairée, mais des fidèles venus adorer un détenteur – peut-être même le seul – de vérité musicale. Le service musique de Bozar semble d’ailleurs avoir été du même avis, car le programme – disponible uniquement sur internet – se limite à donner les titres des œuvres exécutées sans y ajouter le moindre commentaire, ne serait-ce que les dates de naissance et de décès des compositeurs, les tonalités ou les indications de tempo des mazurkas de Chopin ou les titres des neuf morceaux qui constituent les Scènes de la forêt de Schumann qu’on entendra en deuxième partie.
Doté de moyens pianistiques hors du commun, le géant pétersbourgeois, pour qui la musique est une sincère et inconditionnelle quête d’absolu, est aussi un interprète curieusement imprévisible, capable de sublimes fulgurances comme d’inexplicables lourdeurs.
Maîtrisant un important répertoire, Sokolov a aussi l’art de concocter des programmes originaux. C’est ainsi qu’il choisit de consacrer toute la première partie de ce récital à un choix de pièces initialement conçues pour virginal ou clavecin par William Byrd, un compositeur dont il y a fort à parier qu’il ne devait guère être familier à la grande majorité des admirateurs du pianiste qui remplissaient jusqu’au dernier siège de la salle.
Même si l’impression qui ne cessera de prévaloir est que ces pièces sonneraient nettement mieux sur les instruments pour lesquels elles ont été conçues, Sokolov fait entendre de belles qualités dans ce répertoire au touchant alliage de lyrisme et de simplicité, qu’il aborde avec une indubitable sincérité. On goûte d’emblée la netteté de son articulation et l’exécution impeccable des ornements qui font le sel de cette musique. Cependant, le doute s’installe parfois par rapport à la très vaste dynamique employée alliée à un généreux usage de la pédale. Si l’on ne ressort pas entièrement convaincu de la démonstration, il faut néanmoins saluer la curiosité d’un interprète sortant résolument des sentiers pianistiques battus.