Aux Lisztomanias, il faut se lever tôt pour arriver à temps aux cours publics d'interprétation que donne Bruno Rigutto dans l'Auditorium Franz Liszt qui jouxte la Scène nationale l'Équinoxe, en fait une ancienne église au transept transformé en salle de concert grâce à un plafond acoustique suspendu et à des sièges en gradin installés face à ce qui fut un chœur. Rigutto y donne chaque jour de 9h30 à 12h30, à deux garçons et à deux filles, intégralement pris en charge par les Lisztomanias, des leçons passionnantes, sur un grand et beau Steinway de concert.
Bruno Rigutto aux Lisztomanias
© Yvan Bernaer
Le public s'y presse, car le maître délivre un enseignement clair et tellement sensé et ouvert qu'il passe immédiatement dans leur jeu. L'auditeur écoute et comprend l'art de l'interprétation d'un texte et en quoi la transmission est si importante. D'autant qu'à la différence de quelques dindons qui glougloutent en pareille occasion, Rigutto jamais ne méprise ou toise même quand il est sévère. Ils jouent et discutent. Il montre. Ils essaient, reprennent et sortent peu à peu du brouillard. C'est magnifique !
C'est tout l'avantage d'un festival ramassé dans le temps que de proposer des conférences, des cours publics, des expériences et même de demander à ces étudiants de donner des petits récitals, dans un grand café du quartier piétonnier de Châteauroux. On ne s'ennuie pas non plus en écoutant le musicologue Nicolas Dufetel raconter Liszt et son temps, documents projetés à l'appui, et notamment ses grands voyages à travers l'Europe pour donner des récitals jusque dans des petites villes où l'on n'imaginerait pas qu'il ait pu jouer.
Tant de savoirs partagés sans pédanterie, avec humour et sans démagogie attirent évidemment le public qui en redemande et se presse aussi à des joutes pianistiques réjouissantes dont des improvisations au Cube, un lieu alternatif de la ville, où Karol Beffa, Jean-Baptiste Doulcet et Paul Lay ont rivalisé de malice et d'inspiration. Et jusque sur la grande scène où Pascal Amoyel et Dimitri Saroglou se sont affrontés dans un savoureux match entre Liszt-Amoyel et Chopin-Saroglou... Tout ce qui fait l'intérêt d'un festival face à une saison de concerts est là.
Nicolas Dautricourt et Paul Lay aux Lisztomanias
© Yvan Bernaer
Le clou de ces « concerts salades », comme les appelait Jean Wiener du temps du légendaire cabaret parisien Le Bœuf sur le toit, s'est tenu le dimanche après-midi grâce au merveilleux violoniste Nicolas Dautricourt, aux pianistes Paul Lay, jazzman qui connaît ses classiques, et Denis Pascal qui est l'un des maîtres de l'enseignement du piano en France. Ils ont rendu un hommage joyeux à Gershwin, Ravel, Wiener, Liszt et Bartók, avec cette grâce dans l'exécution comme dans l'improvisation qui prend la musique très au sérieux, l'aime et la présente : les atours sont parfaits, dans un état d'esprit dominé par la malice et l'amour de la musique. Ce violon soyeux et souple, ces phrases si bien dessinées et libres, ces échanges avec des pianos fluides, virtuoses et inspirés laissent des petits flashs d'émotion pure dans la mémoire.
Retour dans l'Auditorium Franz Liszt pour un récital « Liszt à l'opéra » de Jean-Paul Gasparian. On avait pu trouver ce pianiste réfléchi et sincère, mais un peu trop chaud-bouillant parfois dans le passé. Il est devenu un jeune maître à la technique admirable et aux conceptions affirmées sans ostentation. Il entend tout, il contrôle tout, manie une pâte sonore dense sans une once de dureté. Il la soumet à une pensée musicale, sérieuse et réfléchie. Parfois peut-être un peu trop au détriment d'une italianità qu'on perd un peu dans Rigoletto, mais son Miserere du Trouvère est tragique et grandiose.
Jean-Paul Gasparian aux Lisztomanias
© Yvan Bernaer
Son éloquence magnifie la forme et soigne les équilibres dans des paraphrases touffues qui exigent un esprit délié tant Liszt y a fondu les mots dans l'orchestre pour créer une nouvelle dramaturgie. Et le tout dans un piano trop petit pour tout contenir. Mais Gasparian entend et accompagne chaque note, chaque accord jusqu'au bout et son legato est digne de celui de Nelson Freire ou de Vadym Kholodenko. Gasparian théâtralise un peu ses gestes quand ses mains dessinent le son qui va être produit. Après tout, il est à l'opéra, et s'il chante tous les rôles, il dirige aussi.
Le séjour d'Alain a été pris en charge par les Lisztomanias.
****1
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