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Lukas Geniušas au sommet dans Chopin à L'Esprit du Piano

Von , 26 November 2024

Ce concert proposé par le festival L'Esprit du Piano devrait être, en soi, un événement : c’est l’unique chance pour le public français d’entendre le pianiste Lukas Geniušas sur cette saison 2024/2025 – en attendant que des festivals d’été aient la bonne idée de l’inviter. À défaut de pouvoir rendre compte d’un engouement et d’une excitation générale nationale à l’approche du récital (les médias ayant été étonnamment discrets à ce sujet), les conditions d'un beau concert sont bien là : une salle bien remplie, l’acoustique idéale de l’Auditorium de Bordeaux, l’exigence maintenue d’un festival dans sa programmation. 27 études de Chopin par Lukas Geniušas, c'est une telle promesse que le critique passionné de rugby accepte de regarder France-Argentine en replay, une semaine après une victoire historique contre les All Blacks…

Lukas Geniušas
© Jean-Baptiste Millot

Lukas Geniušas retrouve des compagnons de longue date avec les Études op. 10 et op. 25, qu’il joue régulièrement depuis 2009, ainsi qu’une nouveauté donnée pour la première fois en concert : les trois Nouvelles Études. Celles-ci sont déjà creusées et personnelles, comme si elles étaient dans ses doigts depuis quinze ans elles aussi. Dès l’Étude en fa mineur, on est frappé par le legato irréel de cette main gauche qui vient se poser sur le piano.

Lukas Geniušas possède une signature sonore aussi discrète qu’admirable. Comme un studio entier de post-production posé à la sortie du piano qui unifie tout, concentre le son, lui donne une lumière et une patine d’une élégance rare. C’est une œuvre personnelle que nous donne le pianiste : cette intégrale des études n'est pas vouée à être une démonstration de vélocité, de puissance, ni même une fresque épique, tragique et romantique. Les dynamiques sont réduites et une distance émotionnelle est prise, compensée par cette retenue poétique et une recherche d’intimité.

C’est probablement les douze opus 25 que Geniušas marque le plus de son empreinte, ce recueil comprenant le plus grand nombre de moments qui resteront gravés dans nos mémoires. De ces moments de sidération pianistique que l’on emporte avec soi après le concert et qui font sonner ces études comme des références dans nos esprits. Prenez l'op. 25 n° 5 si ambitieuse, avec un chant central grandiloquent, vertigineux, et élégiaque, ainsi que son thème « fausse note » vidé de sa maladresse par tant de sensualité et d’élégance. Citons aussi l’op. 25 n° 2, décontractée, évidente et si charmante, avec cette main gauche qui reprend son commentaire raffiné au retour du thème.

Les redoutables Études op. 10 n° 1 et n° 2 n’ont pas la fluidité que l’on a déjà entendue sous ses doigts, alors Geniušas étire sa main droite, relaxe son poignet dès qu’il le peut. L’horizon s’ouvrira très vite, les études les plus complexes sonneront avec une virtuosité au-delà de l’irréprochable. L’op. 10 n° 7 est une toccata qui chante sans percussion et avec une pointe de sophistication, la main gauche semblant avoir tout le temps d’éclairer la droite, de prendre la parole, d’attirer l’attention dès qu’elle le souhaite. L’étude en tierces (op. 25 n° 6) n’a presque plus rien de vertigineux sous les doigts de Geniušas, elle file aisément avec ses montées de gammes quasi désinvoltes.

Il ne sera évidemment pas seulement question de retenue et de charme durant ces 27 études. Lorsque Geniušas lâche les chevaux, cela sonne ! On entend la bête dans une Étude « révolutionnaire » (op. 10 n° 12) dense et puissante qui frappe par son immédiateté et son allant. L’op. 25 n° 10 nous met une claque avec son magma d’une puissance monumentale, et ses accords maintenus qui s’extraient de la masse et se suspendent dans l’air. L’op. 25 n° 12 est un fascinant objet sonore, comme une sorte de synthèse du geste personnel de Geniušas dans ces études. Le pianiste crée et retient une immense tension qui grandit, fait des effets de masses pour tendre une sauvagerie sous-jacente qui n’explose jamais tout à fait.

Trois bis : un Nocturne de Chopin fascinant, tenu entièrement dans le pianissimo, d’une décontraction absolue avec une petite pointe de sophistication dans les ornements. Un charme maintenu ensuite dans l’Alt Wien de Godowski. Pour finir, un arrangement du Vol du bourdon par Rachmaninov, qui laisse augurer ce que pourraient être sous les doigts du pianiste de formidables études de Moszkowski…


Le voyage de Rémi a été pris en charge par L'Esprit du Piano.

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“Des moments de sidération pianistique qui font sonner ces études comme des références”
Rezensierte Veranstaltung: Auditorium de Bordeaux : salle Dutilleux, Bordeaux, am 22 November 2024
Chopin, 3 Nouvelles études, Op.posth
Chopin, 12 Études, Op.10
Chopin, 12 Etüden, Op.25
Lukas Geniušas, Klavier
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