Ce concert proposé par le festival L'Esprit du Piano devrait être, en soi, un événement : c’est l’unique chance pour le public français d’entendre le pianiste Lukas Geniušas sur cette saison 2024/2025 – en attendant que des festivals d’été aient la bonne idée de l’inviter. À défaut de pouvoir rendre compte d’un engouement et d’une excitation générale nationale à l’approche du récital (les médias ayant été étonnamment discrets à ce sujet), les conditions d'un beau concert sont bien là : une salle bien remplie, l’acoustique idéale de l’Auditorium de Bordeaux, l’exigence maintenue d’un festival dans sa programmation. 27 études de Chopin par Lukas Geniušas, c'est une telle promesse que le critique passionné de rugby accepte de regarder France-Argentine en replay, une semaine après une victoire historique contre les All Blacks…
Lukas Geniušas retrouve des compagnons de longue date avec les Études op. 10 et op. 25, qu’il joue régulièrement depuis 2009, ainsi qu’une nouveauté donnée pour la première fois en concert : les trois Nouvelles Études. Celles-ci sont déjà creusées et personnelles, comme si elles étaient dans ses doigts depuis quinze ans elles aussi. Dès l’Étude en fa mineur, on est frappé par le legato irréel de cette main gauche qui vient se poser sur le piano.
Lukas Geniušas possède une signature sonore aussi discrète qu’admirable. Comme un studio entier de post-production posé à la sortie du piano qui unifie tout, concentre le son, lui donne une lumière et une patine d’une élégance rare. C’est une œuvre personnelle que nous donne le pianiste : cette intégrale des études n'est pas vouée à être une démonstration de vélocité, de puissance, ni même une fresque épique, tragique et romantique. Les dynamiques sont réduites et une distance émotionnelle est prise, compensée par cette retenue poétique et une recherche d’intimité.
C’est probablement les douze opus 25 que Geniušas marque le plus de son empreinte, ce recueil comprenant le plus grand nombre de moments qui resteront gravés dans nos mémoires. De ces moments de sidération pianistique que l’on emporte avec soi après le concert et qui font sonner ces études comme des références dans nos esprits. Prenez l'op. 25 n° 5 si ambitieuse, avec un chant central grandiloquent, vertigineux, et élégiaque, ainsi que son thème « fausse note » vidé de sa maladresse par tant de sensualité et d’élégance. Citons aussi l’op. 25 n° 2, décontractée, évidente et si charmante, avec cette main gauche qui reprend son commentaire raffiné au retour du thème.