Présenté par le Festival de Sablé pour la première fois au public français, Mirrors, le programme de Jeanine De Bique et du Concerto Köln, est comme son nom l'indique un jeu de miroirs où les figures d'héroïnes de l'opéra baroque italien se reflètent plusieurs fois sous des jours différents selon les moments du drame et selon l'art des différents compositeurs. Outre le plaisir du bel canto, la prestation de la soprano offre donc l'occasion d'identifier puis de comparer les personnages créés à partir d'une même source.
Jeanine De Bique déploie son talent dans un premier air tiré de la Rodelinda de Graun, « Risolvere non osso ». La voix, l'attitude expriment une impressionnante détermination. L'orchestre témoigne d'une complicité saisissante. Les intentions, les nuances, les tempos sont partagés avec une rigoureuse et frappante cohésion. La pièce suivante, « Ritorna, oh caro e dolce mio tesoro », touche au même personnage de Rodelinda, traité cette fois non plus par Graun mais par Haendel à un moment différent du livret. Le balancement de la mesure évoque une atmosphère de paix, de joie profonde telle une pastorale, installant un fort contraste avec le morceau précédent. On peut cependant apprécier une même perfection dans les détails du chant, une attitude révélant le même degré de générosité et un accompagnement orchestral donnant leur dimension théâtrale à l'atmosphère et au propos.
Jeanine De Bique s'avère toujours aussi convaincante, adaptant sans cesse son expression au contexte dramatique de chaque scène. Ainsi, l'inoubliable aria « Mi restano le lagrime » extraite de l'Alcina de Haendel résonne jusqu'au plus intime de chacun. L'amertume, le désespoir d'Alcina prenant conscience de la perte complète des pouvoirs monstrueux qu'elle croyait détenir, y ont, malgré tout, quelque chose de profondément humain, émouvant. Plus vertueuse, l'Agrippine de l'opéra Germanicus de Telemann inspire dans la lumineuse et sincère interprétation qui en est donnée (« Rimembranza crudel ») une pitié et une tendresse touchantes. Le public de l'église Notre-Dame accueille également avec ferveur les morceaux dans lesquels l'agilité de la voix, ses longues et brillantes ornementations, ses vertigineuses montées dans l'aigu révèlent un talent expressif et virtuose remarqué. « L'empio rigor del fato » tiré de la Rodelinda de Graun en est un bel exemple tandis que les spectateurs redoublent d'applaudissements pour le duo voix-hautbois particulièrement coloré et inspiré dans « L'alma mia fra le tempeste » de l'opéra Agrippina de Haendel.