Dans le cadre splendide du bâtiment de la Légion d'honneur se tenait ce dimanche à Saint-Denis un récital de belle tenue, mené par deux jeunes talents déjà connus du grand public : au violon, Raphaëlle Moreau, invitée régulière des grandes salles parisiennes comme des principaux festivals français, et au piano, Sélim Mazari, nommé aux Victoires de la Musique Classique 2018 et disciple de la regrettée Brigitte Engerer.
La radieuse Sonate en sol majeur K. 301 de Mozart ouvre le programme. On y découvre déjà toute la luminosité de la pensée musicale de Raphaëlle Moreau. Les phrases sont conduites avec beaucoup d'élégance, la caractérisation du motif ne prenant jamais le pas sur le déroulé global de la forme. Une tenue relativement ferme de l'archet, sacrifiant l'élasticité naturelle de la baguette au profit d'un contrôle absolu de sa trajectoire, permet à la violoniste de varier en un éclair l'articulation. Les passages spiccato sont ainsi éloquents, concis et décidés. Dommage que le pianiste ne parvienne pas, de son côté, à tirer son épingle du jeu.
Dans la Sonate de Debussy également, c'est surtout sa partenaire que l'on observe. Ici le jeu est plus libre, s'emplit d'une sensuelle nonchalance qui permet une libération de la matière sonore. La voilà qui se fait plus diffuse, plus palpable. Par moments (dans la partie en spiccato du deuxième mouvement, par exemple), le geste se fige et Raphaëlle Moreau adopte la gestique d'un pantin articulé. Il est vrai que cette musique a quelque chose de mécanique, qui tourne sur elle-même. On est loin du flautando sans substance et sans idées que l'on inflige trop fréquemment à la musique française.
Entre sonate et pièce de charme, c'est maintenant Souvenir d'un lieu cher de Tchaïkovski. Une forme courte en trois mouvements très mélodiques : voilà qui devrait inspirer le sens du motif de Raphaëlle Moreau. C'est le cas : le tout témoigne d'une intelligence de construction, peut-être un peu loin du parlando tzigane que Tchaïkovski avait en tête, mais qui donne des lettres de noblesse à une forme a priori facile. Mais ce qui frappe l'oreille, au tout premier abord, c'est la qualité du son et le soin mis à exploiter toutes les résonances de l'instrument. Il en résulte un timbre très chaud, intense tout en restant confiné dans des piano impénétrables. Dommage que le « Scherzo », diabolique tarantelle qui n'est pas sans rappeler la première sonate de Schumann, nous file un peu entre les doigts. Tout en respectant le cadre intimiste de la musique de chambre, Sélim Mazari se fait ici moins diaphane. Lui aussi témoigne d'un art du toucher et de la résonance lui permettant de glisser à loisir entre un jeu d'une pâleur muette et des sonorités plus affirmées, sans que les transitions se fassent trop brusques.