Émergeant d’une rustre terre battue, les pierres que les moines cisterciens de l’Escaladieu ont choisies il y a 900 ans pour bâtir leur église n’ont pas bougé. L’assemblage offre aux auditeurs du Festival Piano Pic une acoustique formidable, en plus d’une fraîcheur bienvenue ; venant des quatre coins des Pyrénées, ils se rassemblent en nombre ce soir pour écouter Nicolas Stavy.
Le pianiste français a pensé un « regard croisé » entre Chopin et Fauré, comme il l'expliquera au retour de l’entracte. Pour Nicolas Stavy, Chopin a inventé l’écriture de piano « moderne » et la ligne mélodique puissamment vocale, dans lesquels Fauré ira puiser. Tous les deux sont des incompris : Fauré considéré à tort comme un néo-romantique, Chopin joué de manière trop sentimentale. Tous les deux apprécient les formes musicales « pures », comme les ballades et les nocturnes. Enfin ils ont en commun cette phrase que l’on attribue au Polonais : « le sommet de l’art, c’est la simplicité ». Simplicité du mouvement, du jeu, de la ligne : c’est la démonstration que Nicolas Stavy nous propose ce soir.
De fait, il joue le Nocturne op. 9 n° 1 de Chopin sans pathos, avec une forme de pudeur. À l’os. Le Premier Nocturne de Fauré le suit immédiatement, nous permettant de ressentir une évidente parenté. Le geste est sûr, au service d’une virtuosité qui ne se cache pas. Avec le même souci du parallélisme, le pianiste enchaîne la Mazurka op. 32 de Fauré et la Mazurka op. 63 n° 3 de Chopin. L’œuvre de jeunesse du compositeur français, qui n’aura pas de suite, est un peu simpliste surtout si l’on entend en suivant la danse du Polonais qui paraît terriblement audacieuse. Enfin, la seule Ballade de Fauré, jouée en conclusion de la première partie, est époustouflante. Extrêmement difficile, elle sollicite toute l’énergie de Nicolas Stavy. L’élan est irrésistible ; les figures pianistiques, arpèges, passements de main, octaves, regardent davantage du côté de Liszt, elles sont rendues à la perfection. Cette conclusion est bienvenue, pour nous faire oublier une Première Ballade de Chopin nerveuse, fébrile et précipitée, complètement à côté.