L'Alsace, berceau des orgues Silbermann, témoigne encore de la renommée de cette famille de facteurs au XVIIIème siècle. Orgues restaurés, entretenus, animés grâce aux associations réunissant musiciens, artisans, mélomanes, partenaires. Ont ainsi été organisés, deux concerts à Mulhouse et environs, cet automne. Le premier*, en l'église d'Eschentzwiller dont la reconstruction du Silbermann avait nécessité ces dernières années un savant travail de recherche et d'artisanat, ouvrageant les éléments perdus, conçus à l'origine par Johann Andreas Silbermann. Le second, donné au Temple Saint-Jean de Mulhouse, pour ses "Automnales" et les 500 ans de la Réforme. Son orgue devenu sans caractère et injouable ayant été reconstruit en 1972 par Alfred Kern à l’identique du Silbermann d’origine.
Un riche parcours musical fut proposé. A Eschentzwiller : le XVIIème siècle français avec Du Mont, Nivers, Brossard, Couperin, Grigny, et au delà, Bach. Le second, s'arrêtant sur Bach et sa "Messe luthérienne" (Klavierübung III) toute en tension vers des temps à venir avec, par exemple, un complexe et superbe Vater unser. Outre la valeur des œuvres, on a jugé des vastes possibilités offertes par les instruments, osmoses entre orgue français et orgue allemand, synthèse alsacienne, que réussit si bien Silbermann. L'improvisation finale de Thierry Mechler (Cologne) sur un thème de Debussy, au Temple Saint-Jean de Mulhouse, en a constitué une somptueuse illustration. Les deux bâtiments cultuels évoqués ici sont d'architecture sobre, dépourvue de hautes voûtes, n'engendrant que peu d'écho ; on y apprécie les timbres et le détail des partitions dans leur pureté et leur finesse.
Le programme à Eschentzwiller éclaire certaines nouveautés introduites après la Renaissance : d'une part, les nouvelles harmonies tonales du motet se juxtaposant au plain-chant lui-même renouvelé ; d'autre part, des liturgies où l'orgue, sans le concours de chanteurs, se charge, étonnement, d'une partie du texte, devant en faire entendre, au moins implicitement, la signification, au demeurant déjà connue des fidèles. Ainsi, Guillaume Gabriel Nivers avait dit "faire chanter l'orgue". Des extraits de sa messe du 2e livre d'orgue ont illustré cette pratique. De même, la Messe pour les Couvents de Couperin. La puissance et la richesse harmonique de l'instrument souvent doublé à la basse continue par la viole de gambe discrète mais inspirée d'Alexandra Polin de la Schola Cantorum de Bâle, alternent avec le plain-chant. Cette alternance fort contrastée pourrait constituer une rupture plus qu'un enchaînement si cet effet n'était estompé par les voix souples, claires, expressives d'Eva Soler-Boix, soprano et Aura Elena Gutierrez, mezzo-soprano ayant acquis la maîtrise de ce répertoire également à la Schola Cantorum de Bâle.
Guillaume Prieur (Lyon), Guillaume Nussbaum (Strasbourg), Olivier Wyrwas (Mulhouse) ont partagé tour à tour les claviers. On saluera en Olivier Wyrwas un accompagnateur rigoureux, portant une attention soutenue tant à son instrument qu'aux mouvements, aux nuances du chant, en particulier dans les motets de Nivers, Domine ante te et Magnificat puis Salve Rex Christe de Sébastien de Brossard. Dans ce dernier, les voix solistes et la viole de gambe signent avec l'orgue une exécution d'une aisance, d'une justesse, d'une intériorité remarquables.