Depuis un mois, le mistral rend fou les Avignonnais. Ils n'en peuvent plus. En cet après-midi ensoleillé, les promeneurs se font rares dans les ruelles et les avenues de la cité que ses murailles ne protègent pas de ces bourrasques. Les lourdes portes de La Scala Provence inaugurée en 2022 (sœur de la salle parisienne) sont bien difficiles à tenir quand on entre dans son accueillant hall bleu foncé Art déco dont le sol en terrazzo gris-bleu agrandit les belles proportions.
Ouvertes tout récemment après restauration, deux des salles sont à nouveau en chantier après avoir été pourtant refaites. Frédéric et Mélanie Biessy, qui ont racheté cet ancien multiplex de cinéma pour en faire un lieu ouvert et pluridisciplinaire, veulent en améliorer le confort visuel et juguler la propagation des sons qui passaient de l'une à l'autre. Car ce complexe à taille humaine pourra un jour organiser sa petite folle journée à lui : à la grande salle de 600 places, s'ajoutent trois auditoriums de 220, 100 et 65 places. L'achat d'une chapelle désacralisée dans la ruelle à côté parachèvera ce lieu en proposant vingt-cinq chambres pour les artistes en résidence. La Scala étant aussi devenu éditeur de disques, ses responsables ont trouvé là un lieu idéal : les artistes pourront travailler au calme.
Entrons dans la grande salle, du même bleu, elle est ornée de luminaires muraux dorés Art déco classés, son plafond est très haut, elle dispose d'un parterre et d'un balcon : elle est large et est légèrement arrondie en éventail avec une pente qui rend la scène visible de partout. Mais cet après-midi, les mélomanes ont pris place sur des chaises installées sur scène, tout autour du piano. Plutôt qu'éparpiller les un peu plus de 200 d'auditeurs dans la salle, La Scala a préféré les rapprocher de Tom Carré. Ce jeune pianiste, encore étudiant dans la classe de Denis Pascal au CNSMD de Paris, vient de publier Noctuelles, son premier (et fort beau) disque chez Scala. L'acoustique ? Excellente, comme on avait pu en juger depuis la salle quand Carré répétait seul : en bas et au balcon, le son se déploie généreusement sans trop de réverbération. Le voici qui entre pour jouer l'Humoresque de Schumann et les Miroirs de Ravel. Deux compositeurs qui s'aiment. Deux chefs-d'œuvre : énigmatique, intérieur et fantasque, plein de sautes d'humeurs pour le premier ; musique de plein air, atmosphérique, mystérieuse, saisissante pour le second, et difficile à apprivoiser tant elle développe des climats, caractères et sons sombres, désolés, tragiques même au long de ses cinq « mouvements ».