Le concert de ce soir au Festival de Pâques de Deauville associe deux œuvres russes d'esthétiques diamétralement opposées à sept jeunes musiciens d'horizons divers, mais tous au passé de chambriste fort aguerri. Une soirée qui vient rappeler que la jeunesse musicale française, malgré les circonstances, est en très grande forme.
Le Quintette de Weinberg est une œuvre ambiguë, qui cache le malaise de ses dissonances sous de larges envolées lyriques. Dès le premier mouvement, on comprend que cette ambiguïté n'effraie pas Jonas Vitaud, qui survole la pièce sans sourciller, lui donnant structure et agogique limpide, notamment à l'aide d'outils d'interprétation directement issus du langage classique. À cette vision très organisée, presque pédagogique, le quatuor oppose le tourment d'archets amples et d'une intensité de tous les instants. Si l'on aurait apprécié un peu plus de cohérence entre les deux univers, force est de constater que ce choc frontal ne laissera personne indifférent.
On pourrait en dire autant du violoniste David Petrlik, dont la sonorité moelleuse et élastique s'accommode étonnamment bien de cette œuvre de tous les extrêmes. Il faut dire que rien n'est épargné à notre premier violon : phrases interminables, « sauts de l'ange » dans le suraigu très exposés, à l'unisson avec le piano... On devine, derrière la sonorité presque naïve de David Petrlik, une virtuosité féroce.
C'est plutôt le violoncelliste Bumjun Kim qui s'illustre dans le deuxième mouvement : quel sens du phrasé ! Ductile, presque lascif, mais toujours conduit, son archet surprend par sa hauteur de vue. Dommage que l'ensemble manque de structure : il manque un point culminant à cette chevauchée de l'ombre. Le troisième mouvement, « Presto », est parfait : Jonas Vitaud y fait montre d'une bondissante virtuosité, tandis que l'altiste Manuel Vioque-Judde, bénéficiant d'un soudain coup de projecteur, nous régale d'un solo au lyrisme teinté de malice.
La marche colossale qui ouvre le quatrième mouvement sera ici rampante, horizontale, bénéficiant ainsi d'un surcroît de tension. Dans le splendide duo violon-violoncelle qui suit, David Petrlik soutient le son comme jamais, osant approcher son archet au plus près du chevalet, sans jamais que le son ne cède, tandis que Bumjun Kim se fait l'écho caverneux de cette mélopée anti-héroïque. Puis, voilà un superbe solo de piano, où Jonas Vitaud se joue des résonances – et surtout des absences de résonances – de l'instrument. Dommage que le finale, un peu anecdotique, ne s'inscrive pas dans la lignée des précédents mouvements.