En co-production avec l’Institut Lumières, l’Auditorium de Lyon programme cette saison un cycle de cinq ciné-concerts symphoniques, dont le plus énigmatique sans doute, faisant entendre la West Side Story de Leonard Bernstein sur le film de Robert Wise, a marqué en fanfare le tournant de l’année. Une véritable communion de l’ONL et de son public, assurée par la solide direction d’Ernst van Tiel.
Sous l’écran géant qui couvre le fond de scène, la centaine de musiciens qui composent l’ONL est rassemblée comme en famille, à l’image du public, qui attend avec impatience le premier mouvement de baguette. Une fois n’est pas coutume, il n’est pas suivi de son, mais d’image : c’est le lancement du prompteur musical qui, posé juste derrière le pupitre central, fait défiler les séquences filmiques et les pulsations de pleine mesure à l’attention de celui qui a la tâche franchement pas enviable de mettre au diapason, et surtout au pas, sa troupe et le spectacle qui se joue au-dessus de sa tête.
Car, tout de suite après une ouverture percutante – bien chronométrée, elle aussi – se trouve un premier piège : ce claquement de doigts dicté par la bande-son et les images de la course-poursuite initiale entre les Jets et les Sharks, qui a l’audace de ne pas toujours être placé aussi rigoureusement que ne le voudrait l’oreille musicale. Le rubato de Tony dans la scène de balcon est redoutable, lui aussi, mais les musiciens suivent leur chef sans hésitation.
Au-delà des premières minutes, dans lesquelles notre fascination est retenue surtout par le « comment » de cette interaction entre musiciens et cinématographe, s’installe vite un incroyable confort d’auditeur-spectateur. C’est bien mieux que sur le canapé familial, ce son hyperprésent, qui paradoxalement peut se faire vite oublier (le meilleur signe ?) quand les images n’illustrent pas l’une de ces scènes de danse d’anthologie, comme l’inoubliable Mambo.
C’est alors qu’on s’aperçoit que West Side Story n’a pas pris beaucoup de rides, ni les dialogues, ni le scénario d’Ernest Lehman d’après le livret d’Arthur Laurents. En 1961, il y a tout déjà, toutes les problématiques sociales qui animent les débats actuels : la rivalité des gangs (les rixes des cités), des vrais mecs qui pleurent (Baby John), une vraie fille qui cherche à rompre avec les lois étouffantes de son genre (Anybodys), l’abdication du pouvoir parental, le harcèlement et la violence sexuelle dont les jeunes filles font les frais (Anita échappe de peu à un viol collectif), la xénophobie incompréhensible d’immigrants de la vague précédente, enfin une sagesse aussi kitsch que vraie et universelle, bien sûr, l’amour qui transcende tout et qui finit par être reconnu comme tel dans la dernière séquence du film. Insensible celui qui n’a jamais versé une larme sur le corps de Tony, soulevé par la douceur conjointe de ses amis et de ses ennemis, alors que la caméra s’éloigne de Maria, silencieuse, et de son regard de morte vive.