Violoniste concertiste et productrice sur France Musique, Marina Chiche revient sur un parcours transversal croisant les disciplines et les enseignements, ses répertoires de cœur et son engouement pour la médiation.
Nicolas Mathieu : Après être passée par le Conservatoire de Marseille, vous entrez première nommée au CNSM de Paris à l’âge de 16 ans…
Marina Chiche : J’avais eu mon bac à l’avance et je suis donc montée à Paris. C’était une période excitante, riche, mais pas facile parce que j’étais très jeune, sans vraiment m’en rendre compte. Très étonnamment, lorsqu’on me demande quels grands souvenirs je garde du Conservatoire, je ne pense pas aux classes de violon. Elles ont parfois été compliquées pour moi, même si j’étais partie sous de bons auspices en étant première nommée. Mes meilleurs souvenirs concernent davantage les classes de musique de chambre et d’analyse.
Pourquoi les classes de violon ont-elles parfois posé problème ?
Les classes de musique de chambre me faisaient directement rentrer dans la musique. J’étais en contact avec la partition, mon horizon était le compositeur, l’expression, l’imaginaire. A contrario, dans les classes de violon il n’y avait pas ce souffle musical mais plutôt un côté normatif. Or je venais avec quelque chose d’un peu différent parce que je portais en moi la formation acquise à Marseille auprès de Jean Ter-Merguerian. J’avais peut-être déjà sans doute une forme de personnalité, qui s’est trouvée en conflit manifeste avec les attentes de ces classes. Inversement, il y avait besoin de cette identité dans les classes de musique de chambre.
Qui plus est, je menais en parallèle des études de littérature germanique par correspondance à la faculté de Nanterre. Je passais mon temps à lire et à faire des connexions avec ce que je travaillais au Conservatoire. Je vivais donc un grand décalage entre une approche très réductrice dans les classes de violon et une réflexion qui était immense à côté, vis-à-vis de la conception de ce qu’était un musicien, c’est-à-dire un chercheur en interprétation. On a besoin d’être formé, non pas formaté. Et malheureusement, on est plus souvent formaté que formé. La nuance est fine mais essentielle, et elle se trouve déterminante pour le type de musicien qui est produit.
Vous avez ensuite quitté la France pour Vienne, puis l’Allemagne. Y avez-vous rencontré le même décalage ?
J’ai trouvé une forme de « résolution des tensions » lorsque je suis allée à Vienne d’abord, pour suivre la classe de Boris Kuschnir, mais surtout lorsque je suis partie étudier à Munich. Là, c’était tout l’inverse du formatage ! On me disait que je devais être moi-même, que tout ce qui est en moi était intéressant, même les aspérités techniques liées à la posture ou à la tenue de l’archet. Ma professeur, Ana Chumachenco, avait une classe absolument exceptionnelle. Elle créait l’espace pour que chaque individualité s’exprime. Chacun se nourrissait des différences des autres et était valorisé pour exprimer une identité, une singularité. Chacun avait un vibrato différent, des affinités de répertoire, des manières d’être sur scène différentes. Cela nous confrontait à la diversité des talents, tout en nous rendant humbles parce qu’on se disait : « cela ne ressemble pas du tout à ce que je ferais, mais c’est très convaincant ! »
À côté de votre parcours violonistique, vous avez réalisé un Doctorat en Esthétique, théorie et pratique des arts. Comment en êtes-vous arrivée à réaliser ce doctorat ?
J’avais terminé mes classes de violon, mon premier CD consacré à Brahms était déjà sorti et j’étais déjà dans une dynamique de soliste. Je voulais refaire de l’analyse pour renforcer ce muscle de la lecture de la partition, de la compréhension du compositeur, et pour être encore plus harmonique dans ma démarche. Je suis donc retournée au CNSM, d’abord en histoire de la musique, puis en classes d’analyse et d’esthétique. Et là, cela a été la révélation ! J’avais suivi par le passé des masterclasses avec György Kurtág, et je me suis alors rendue compte que cela avait été précisément des cours d’esthétique et d’interprétation parce qu’il pouvait analyser une partition avec son prisme de compositeur, mais toujours de manière intertextuelle, en établissant une communication entre les œuvres. Il jouait des accords de Debussy et convoquait Wagner, faisait des liens entre Brahms et Bartók. Cela allait dans tous les sens, mais tout communiquait et tout était relié.
Quels liens établissez-vous entre ces disciplines théoriques et votre pratique musicale ?
À mon sens, il n’y a pas de dissociation entre cours théoriques et pratiques. C’est comme lorsqu’on demande à un musicien de jouer mécaniquement, puis de manière musicale. Cela n'a pas beaucoup de sens ! Ce sont certes des protocoles méthodologiques, mais c’est souvent un mauvais calcul, car si la technique n’intègre pas la dimension du discours, on est à côté de la plaque et on travaille quelque chose d’artificiel qui ne pourra pas être retravaillé après.