« Ce qui vient de se passer prouve qu’il n’y a pas assez d’orchestres à Paris ». Au-delà de cette pique adressée au Ministère de la Culture par Emmanuel Krivine en fin de première partie, il est certain que « ce qui s’est passé » ce soir-là a montré un Orchestre National de France en totale osmose avec son directeur musical particulièrement exalté, dans un programme associant la Symphonie n° 3 de Brahms, qui vient clôturer un cycle commencé en septembre consacré au compositeur, et Harold en Italie de Berlioz.
Les premières mesures de la Symphonie n° 3 du compositeur allemand donnent le ton : d’un geste assuré et ferme, Emmanuel Krivine se lance dans cette œuvre, réputée difficile, pour une interprétation marquée tout du long par une vivacité électrisante. Dès le premier mouvement, le National impressionne par une force collective époustouflante. Emmenés par Sarah Nemtanu, les violons sont d’une précision et d’une justesse implacables tandis que les bois prennent le temps de dialoguer sans perdre de vue la battue énergique du chef.
Les deuxième et (fameux) troisième mouvements sont interprétés avec ce souci d’avancer constamment. Ainsi, tout sentimentalisme est exclu : les ralentis sont utilisés avec parcimonie et Krivine tient absolument à ne pas tomber dans une lassitude qui peut vite arriver, privilégiant en permanence la fluidité du propos. Cela n’empêche pas les différents solistes de prendre le temps de déclamer ces longues phrases brahmsiennes, à l’instar du remarquable clarinette solo Patrick Messina.
L’« Allegro » final, qui démarre timidement pour évoluer vers des passages plus grandioses, est joué avec une intensité à donner des frissons. L’orchestre projette admirablement le son qui va se nicher dans tous les coins de l’Auditorium à l’acoustique si ciselée et enveloppe instantanément le public. Là encore, le chef n’y est pas pour rien, exigeant de ses musiciens, par le regard et par les gestes, une réactivité de chaque instant. Avec un tempo aussi soutenu, la moindre baisse d’intensité est immédiatement recadrée, comme ces pizzicati de contrebasses un peu trop mous au goût de Krivine ; et la contrebasse solo Maria Chirokoliysa de redynamiser aussitôt son pupitre d’un coup de tête. L’accord final, tout en délicatesse, finit de nous convaincre qu’il est possible de redécouvrir une partition aussi souvent jouée que la Symphonie n° 3 de Brahms, grâce à une interprétation revigorante et rafraîchissante.