Quelle étrange date pour donner la Symphonie n° 9 de Beethoven ! Au jour officiel du Brexit, le Brussels Philharmonic en grand effectif s'associe au Vlaams Radiokoor pour faire retentir l'Ode à la joie sous la baguette nerveuse de Stéphane Denève. Mais le chef français souhaite, comme à chacun des concerts pour cette saison, faire dialoguer les grandes œuvres du répertoire avec des créations contemporaines.
Ainsi c'est Magnus Lindberg qui est à l'honneur ce soir avec sa pièce Two Episodes, héritage direct de la musique symphonique beethovenienne selon les propos du compositeur. La direction subtile et précise de Stéphane Denève y fait merveille. Les atmosphères s'enchaînent et se fondent dans la plus grande simplicité, tantôt caressantes, tantôt percutantes. Les timbres très caractérisés de la petite harmonie et d'un splendide pupitre de cuivres ne gênent pas l'homogénéité de l'orchestre, parfaitement à l'aise dans toutes les nuances et toutes les tessitures. Cette musique pleine de mystère et de couleurs permet à Denève d'y exprimer toute sa créativité et son savoir-faire.
L'ultime symphonie de Beethoven retentit ensuite dans le magnifique Studio 4 de Flagey, qui paraît presque trop petit pour une telle œuvre et un tel effectif. Les accents sont tranchants et les contrastes puissants, presque surexposés. Le chef met en évidence la structure très précise de cette musique en surlignant des détails qui pourraient paraître anodins. Il sait également se jouer de la noirceur des grands tutti et de la lumière des petits ensembles pour donner un caractère véritablement organique au premier mouvement. Ce caractère très bouillonnant et énergique se poursuit dans le second mouvement « Molto vivace ». Le début du mouvement se développe tout en grâce, à l'image des gestes amples et fluides du chef, mais la suite se fait plus violente et plus rêche. Les timbales très sèches sortent complètement du son de l'orchestre et deviennent presque gênantes. Avec des fortissimo exagérés, l'orchestre pousse de temps à autre de véritables hurlements qui semblent hors de propos dans cette musique. Cela choque d'autant plus que la petite harmonie garde une certaine élégance tout à fait bienvenue, grâce notamment à un hautbois très chantant. Pourtant, malgré cette agressivité, la balance orchestrale irréprochable permet d'apprécier pleinement toute la richesse harmonique de ce chef-d’œuvre.
Dans le troisième mouvement, Denève sculpte son orchestre tout en délicatesse. Le son global est extrêmement rond et chaud, les phrasés d'une grande souplesse, et la ligne simple et élégante. Tel un peintre particulièrement inspiré, Stéphane Denève, avec de grands gestes, colore et illumine cette musique où se distinguent de voluptueuses interventions de clarinettes et un pupitre de seconds violons au son charmant.