Enfin ! Après deux années de difficultés, le Concours Long-Thibaud-Crespin renaît de ses cendres, porté par Renaud Capuçon à la tête d'un jury jeune et désireux de casser les codes pour mieux les renouveler. Le mot d'ordre de cette nouvelle mouture : l'inattendu. Qu'il s'agisse du répertoire, faisant part belle aux œuvres exigeantes et oubliées (la Fantaisie de Schumann ou Le Bœuf sur le toit de Milhaud, par exemple), ou des résultats (la totalité des français en lice éliminés à l'issue de la demi-finale), on ne pourra pas taxer le jury de favoritisme, ni d'étroitesse d'esprit. Et le choix des finalistes se voulait, à l'image du jury, avant tout représentatif des différentes écoles d'interprétation actuelles. Un choix plein de force, ancré dans ce qu'est le violon au XXIe siècle (ou du moins, ce qu'il prétend être), mais qui a pu également montrer ses limites. Retour sur la grande finale « concerto » du concours.
Première à passer sous le feu des projecteurs vendredi soir, Mayumi Kanagawa. Magnifique et exemplaire représentante de cette jeune génération de violonistes pluri-culturelle (Mayumi, d'origine japonaise, a étudié aux États-Unis avant de rejoindre le prestigieux Conservatoire de Berlin), elle s'impose sans peine grâce à un jeu racé, délicat et limpide. Son infaillible main gauche donne au concerto de Brahms, par fulgurations, le soupçon de légèreté qu'il lui faut pour ne pas sombrer dans la caricature aux semelles plombées que l'on entend si souvent. Dominant sans difficulté un Orchestre National des Pays de la Loire gonflé aux amphétamines, la violoniste semble s'envoler un peu plus haut à chaque mesure. Architecte d'un génie et d'un calme olympien, elle donne à son interprétation l'allure d'un temple grec : colonnes robustes, proportions vertigineuses, et ce sentiment d'élévation qui mène aux larmes. Un Deuxième Prix et le Prix de la meilleure interprétation du concerto récompenseront une performance à couper le souffle.
Ces prestations sont d'autant plus admirables qu'elles ont lieu aux derniers soirs de dix jours de concerts incessants, mettant les nerfs des candidats à rude épreuve. C'est pourquoi on pardonne volontiers à Daniel Kogan, qui obtiendra le sixième prix, ses difficultés ce soir. Violoniste d'un talent indéniable (écoutez ses caprices de Paganini, papillonnants de légèreté !), il ne brille pas dans le concerto de Beethoven autant que lors de sa passionnante demi-finale. Daniel Kogan doit sûrement sa place en finale à son jeu extrêmement original, entièrement tourné vers la recherche d'une sonorité éthérée et toujours très imaginative. Le concerto de Beethoven, avec son penchant constant vers l'improvisation, pourrait lui convenir ; mais le jeune violoniste ne parvient pas à transformer l'essai, subissant l'œuvre au lieu de l'assumer.
Autre candidat au jeu si typé qu'il en devient clivant : Dmitry Smirnov. Violoniste d'une clairvoyance remarquable et remarquée (il raflera la moitié des prix spéciaux), il brille particulièrement dans l'« Adagio » de Haydn imposé à tous les finalistes. De savantes et virevoltantes diminutions ainsi qu'une tenue d'archet atypique révèlent une véritable connaissance des traditions baroques. Une influence qui ne le définit pas totalement : Smirnov sait faire la part des choses, n'ôtant pas à son concerto de Mendelssohn les tourments exaltés du Sturm und Drang que l'on aime y entendre. On comprend petit à petit le choix du jury pour cette finale : des candidats aux profils variés, porteurs d'esthétiques différentes, toutes cohérentes, bien loin d'une vaine course à la perfection.