Émotions automnales au Grand Théâtre de Genève devant une assistance encore bien clairsemée pour cette lente reprise après interruption. Dans la fosse, Stefano Montanari et l’Orchestre de la Suisse Romande offrent une lecture des plus nuancées d'Anna Bolena, partition jouée pour la première fois au Grand Théâtre. Dès les premières notes de la Sinfonia, la joie de Donizetti est bien là et, au détour d’une phrase de basson et de clarinette, le chef insuffle des tempos plus étirés, chargeant l’air d’un vague à l’âme qui nous rappelle que le compositeur est aussi l’auteur du si mélancolique « Una furtiva lagrima » de L'Elisir d’amore.
Clair-obscur : c’est la couleur qui sera donnée à l’ensemble, et l’on sent le bénéfice dramatique que l’on peut tirer de ces partitions belcantistes lorsqu’on laisse ainsi respirer les charnières musicales. En ce sens, une des belles surprises de la soirée réside certainement dans les accompagnements improvisés au pianoforte par le chef lui-même à des moments de bascule émotionnelle (souvent des récitatifs, mais pas seulement) : que ce soit après l’aveu amoureux de Giovanna Seymour devant la Reine Anna Bolena au début de l’acte II ; ou sur un « hélas » de la Reine chargé de sens, quand elle comprend revoir son amant Percy pour la dernière fois. Si on peut reprocher parfois à cette direction une absence de prise de risque, on lui saura gré de mettre en place une nappe orchestrale idéale pour porter un chant belcantiste qui trouve ses plus belles résolutions d’ensemble dans un quintette de l’acte I en suspension et parfait équilibre.
Sur scène, une végétation abondante en arrière-plan qui vient soit reverdir, soit faner grâce aux subtils jeux de lumières d’Ulrik Gad. Deux grandes pièces d’un intérieur classique posées sur une tournette (scénographie de Julia Hansen) offrent un jeu entre caché et montré, de circonstance dans un opéra où l’un des ressorts dramatiques reste la délation et le jugement impartial, où chacun observe insidieusement tout le monde, pour le malheur d’une seule, Anna Bolena.
Mais à scénographie habile, direction d’acteur et donc mise en scène (Mariame Clément) conventionnelle et bourgeoise. Conventionnelle dans le sens où mis à part l’idée des doubles de la Reine en enfant et vieille femme – toujours assez efficace mais vue et revue dans tant de mises en scène –, les propositions s’inscrivent dans un rapport logique au livret tout à fait littéral et pauvre, attribuant à chaque scène son anecdote. Ainsi la rencontre amoureuse entre le Roi et Giovanna (acte I) où celui-ci relève haut ses manches, passe ensuite sa veste à Giovanna puis la bloque contre un mur ; ainsi le page Smeton, rôle travesti amoureux de la Reine, qui se masturbe sous les draps devant le portrait de la Reine, épisode qui, s’il parvient encore à choquer le parterre de la cité de Calvin, tourne court sans évoquer les délicieuses subtilités d’un amour adolescent – on pense à l’amour d’un Chérubin pour la Comtesse chez Mozart. Bourgeois car si nous observons ici et là des tentatives de distanciation de l’histoire (codes du conte avec l’apparition d’oiseaux et cerf géants, citation d’une nature romantique…), le geste arrêté à mi-chemin réitère finalement les codes d’un théâtre bourgeois conventionnel relativement statique.