La reprise de la production aixoise d'Ariane à Naxos au Théâtre des Champs-Élysées avait tout pour plaire. Au plateau lyrique très international (Camilla Nylund dans le rôle d'Ariane, Olga Pudova dans le rôle de Zerbinetta, Roberto Saccà dans le rôle de Bacchus) répondait la mise en scène très léchée de Katie Mitchell. Rendre toutes les subtilités de la pièce de Strauss et du livret de Hoffmannsthal n'est cependant pas aisé. L'œuvre est en effet placée sous le signe de la mise en abyme et de l'opposition des styles : un riche mécène réunit chez lui simultanément un compositeur et ses musiciens pour jouer un opéra (l'histoire d'Ariane) et une troupe d'acteurs italiens pour jouer une comédie. Les deux représentations censées se succéder se superposent dans la seconde partie de la pièce pour satisfaire les caprices du mécène. Dans Ariane à Naxos, la comédie fait donc à tout moment irruption dans la tragédie, ce qui fait de cet opéra un étrange objet, sujet à la collision des genres théâtraux et musicaux : on balance entre pastiche du style wagnérien et pastiche du style mozartien, entre stase et effervescence.
Contre toute attente, la lecture de Katie Mitchell semble cependant faire fi de ces hiatus. Entre le prologue et l'opéra, aucun changement de décor : Ariane ne voyage pas jusqu'à Naxos mais reste coincée dans l'intérieur nouveau-riche du mécène. On comprend que le but est de dévoiler au spectateur les ficelles – parfois grossières – de la machine opératique : à défaut de murs, la scène de fortune est délimitée par un marquage au sol lumineux, dévoilant ainsi une fausse coulisse et son activité. La metteuse en scène rajoute donc là un étage supplémentaire au vertigineux emboîtement des mises en abyme. La « touche » Katie Mitchell est décidément au rendez-vous : dédoublement des personnages féminins, grisaille moderniste, décor en coupe transversale et sectionnement de la scène en plusieurs parties. On a du mal à voir en quoi ces traits caractéristiques, qui ont fait le succès de ses productions de Pelléas ou de Written on Skin, sont ici en communion étroite avec l'œuvre de Strauss. Il n'y a plus de place pour le bouffe dans ce cadre maussade, si ce n'est pour la robe « bouffante » rose bonbon de Zerbinetta – seule concession faite au comique. Les acteurs ne sont plus des maîtres de la commedia dell'arte mais de grotesques « illuminés » – au sens propre du terme, puisqu'ils clignotent. De même, on comprend mal certains choix, notamment celui de modifier le livret pour donner le mot de la fin au mécène, ou encore celui de faire accoucher Ariane sur scène.