Les coussins volent haut cette nuit sur la colline de Fourvière. Les auditeurs sont enthousiastes à l’issue du Don Giovanni d’après Mozart que l’Orchestra di Piazza Vittorio a transformé en suite de numéros de music-hall. Riche en effets, cette métamorphose réduit l’intrigue à sa plus simple expression (exit les créanciers, les aspects spirituels et le père, ne sont retenus que les éléments liés aux intrigues amoureuses), par la seule progression linéaire. Mais qu’importe ? Tout le monde connaît la chanson, et le lyrisme accru en est une conséquence intéressante. Accessoire opératique, un écran rond – pouvant suggérer un miroir emblématique du narcissisme forcené de ce DJ, alias Don Giovanni – complète par moments la mise en scène minimaliste, dont un énorme fauteuil blanc, décadent comme son propriétaire, est l’élément central. La nouveauté de l’adaptation italienne de cette année (la troupe ayant déjà présenté une Flûte enchantée en 2009 et une Carmen en 2013) est l’angle du genre.
Car ce DJ, maître de cérémonie et de danse, n’est autre que l’androgyne Petra Magoni, capable de flirter sans vergogne avec les hommes comme avec les femmes. Pourtant, point n’est besoin de jalousie, ni de vengeance : la rencontre avec Zerlina et Masetto se mue en scène d’échangisme sur balançoire, derrière des rideaux filaires qui dévoilent autant que le son qu’on est en train de s’envoyer en l’air. Et Don Ottavio semble succomber autant au charme de DJ que sa sœur, bien moins malheureuse que dans l’original, par ailleurs.
Sur le plan musical, c’est également la volubilité qui prime. Après le premier morceau, jazzy, d’autres aires géographiques et culturelles font intrusion. Sous la lune mélancolique créée par la lumière de Daniele Davino, Simona Boo (Donna Anna) et l’excellent Evandro Dos Reis (Don Ottavio) chantent leur saisissant duo en langue portugaise (« Deixa agora a sua lembrança ») : ce sont ces adaptations en bossa nova et musique brésilienne actuelle qui sont les plus stupéfiantes, et sans doute les plus réussies. Les ingénieuses transpositions de Leandro Piccioni (l’arrangeur d’Ennio Morricone, directeur musical du spectacle, officie aussi au piano) produisent ce curieux effet qui nous ferait dire, si on entendait le morceau hors contexte, « Je connais cet air, mais je ne me rappelle pas d’où il vient. » La voix veloutée d’Evandro Dos Reis dans sa saudade accompagnée de guitare, ne fait-elle pas penser immanquablement à Djavan ?