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Le Focus Jeunes Créateurs is great au Théâtre des Abbesses

By , 22 September 2025

En ce vendredi de septembre, le début de soirée déroute fortement les habitués du Théâtre des Abbesses, où se tient le quatrième programme de la série « Focus jeunes créateurs – Génération Danse élargie » : plutôt que d’être invité à rejoindre la place assise indiquée sur son ticket, le public est amené à s’avancer debout dans la rue Ravignan qui fait face à la salle habituelle. Les réactions fusent… Beaucoup s’offusquent de « ne rien voir » ; une commerçante menace littéralement un spectateur de lui intenter un procès parce qu’en essayant de monter sur sa terrasse extérieure pour être mieux placé, il a décroché une planche de bois. Or c’est ce terreau vivant qui rend l’expérience Gush is Great particulièrement intéressante : cette re-création du collectif Production Xx n'est pas un spectacle de danse mais bien un moment insolite partagé par les personnes présentes à cet endroit-là à ce moment-là – la rue n’étant pas fermée à proprement parler, les curieux peuvent passer et/ou venir assister sans billet à cette partie de la soirée organisée par le Théâtre de la Ville.

Gush is Great (première version du spectacle créé pour Danse élargie en 2024)
© filipf.o.t.o / avoiretadanser

La performance nécessite d’accepter de se laisser porter. Selon la place qu’on a réussi à dégoter, on voit en effet plus ou moins bien les trente-six danseurs du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, LA jeunesse flamboyante bientôt intégrée au sein de toutes les compagnies et institutions, qui se tiennent initialement au centre de l’espace prévu, sur toute la longueur de la petite rue. Les interprètes sont réunis en groupes de quatre ou cinq et marchent lentement du haut de la rue vers le bas, en brandissant puis laissant tomber toujours lentement différents objets assez représentatifs de la vie quotidienne et notamment de ce que le capitalisme produit de plus improbable et destructeur en termes de consommation – déodorant en spray, Coca-Cola, rouge à lèvres…

Cette mise en scène qui évoque une manifestation de type marche de protestation s’avère chargée de gravité en raison de la concentration intense des individus lui donnant vie, dont l’intensité du regard capte parfois plus encore l’attention que les mouvements politisés surgissant de part et d’autre. Certains tombent inanimés, d’autres brandissent des drapeaux contestataires ; le public habite l’espace avec une concentration étonnamment soutenue par rapport au contexte, tout comme les habitants des immeubles alentour émergeant progressivement de leurs fenêtres avec curiosité et une forme de joie. Les enceintes portatives contribuent à la création de cette bulle atypique en diffusant des interviews des interprètes centrées sur la définition du bonheur.

Bouffées
© Nora Houguenade

Clôturée par des discours anti-censure marquants, toute cette séquence a invité les « témoins » à participer à quelque chose d’inédit, entre contemplation et dynamique révolutionnaire. Dans les Abbesses désormais, la chorégraphie Bouffées de Leïla Ka constitue une suite relativement logique de par son rythme calme, même lent au début, et son absence de musique. Ce qu’on entend seulement, et ce qui insuffle un tempo à la pièce, ce sont les inspirations des cinq interprètes femmes (issues du Hessisches Staatsballett) alignées sur l’avant du plateau, qui se livrent au public dans une forme de grande détresse – leurs halètements pouvant être interprétés comme des sanglots.

La force de la pièce est de ne jamais verser dans le pathos, quitte à atténuer la portée émotionnelle de l'expérience ; mais les sous-entendus scénographiques se suffisent à eux-mêmes. Grâce à quelques mouvements de mains agencés délicatement puis synchronisés à la perfection, auxquels viennent s’ajouter des chutes répétées, les danseuses livrent avec courage une partie d’elles et parlent de la féminité au travers de leurs individualités. Elles semblent chuchoter, mais le discours qu’elles portent est un hurlement.

Unseen Horses
© Susanne Reichardt

La troisième pièce, Unseen Horses de Ioanna Paraskevopoulou, semble initialement plus tournée vers l’humour. Neuf interprètes du Dance Theatre Heidelberg se succèdent sur scène pour réaliser le bruitage des interviews filmées d’eux ou elles-mêmes au réveil qui sont projetées sur écran. Bien que ce procédé déclenche de nombreux rires et façonne en soi une manière novatrice de penser le mouvement dansé, le principe répété encore et encore tend à s’essouffler. Un changement s’opère finalement pour mettre en scène de manière symbolique le remake de On achève bien les chevaux (transcrit en spectacle de danse il y a quelques mois). De la bonne techno et une mise en exergue de l’individualité face à la compétitivité actuelle : c’est ce qu’on retiendra de cette dernière partie à l’inspiration maligne mais qui peine toutefois à trouver son identité.

***11
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“La performance nécessite d’accepter de se laisser porter”
Reviewed at Théâtre des Abbesses, Paris on 19 September 2025
Gush is Great (Simon Le Borgne, Philomène Jander, Maxime Gomard, Zoé Lakhnati, Julie Botet)
Bouffées (Leïla Ka)
Unseen Horses (Ioanna Paraskevopoulou)
Élèves danseurs du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris
Hessisches Staatsballett
Dance Theatre Heidelberg
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