Artiste permanent à Chaillot, José Montalvo est un chorégraphe bien connu du public parisien. En juin 2016, pour son nouveau spectacle, c’est la National Dance Company of Korea (compagnie nationale de danse de Corée) que le chorégraphe français fait danser, soit une compagnie ancrée dans une culture bien spécifique, porteuse d’une esthétique rigoureusement définie issue de traditions immémoriales. A travers Shiganè naï, José Montalvo « tente d’interroger les gestes traditionnels du passé et d’imaginer à travers eux des gestes du présent », et « cré[e] un imaginaire inattendu » « par un jeu de construction/déconstruction ». En trois parties, son œuvre illustre la pulsion vitale qui caractérise toute évolution. Une pièce bien construite et superbement interprétée – un divertissement réjouissant qui nourrit la curiosité et incite à la réflexion.
José Montalvo et les équipes du Théâtre National de Corée partagent une même certitude : dans un ballet moderne, « hyper-tradition et hyper-contemporanéité ne [sont] pas des termes qui s’excluent l’un l’autre mais des attitudes qui dialoguent, s’entremêlent, coexistent, pour donner toute sa chance à l’invention chorégraphique ». Le processus de dialogue est en effet au cœur de la création de Shiganè naï : dialogue entre passé et présent, entre hommes et femmes, entre Occident et Orient, entre humour et réflexion, entre respect des normes et impulsion libertaire.
Dans la première partie intitulée « L’Age du temps » (Shiganè naï en coréen), José Montalvo déploie des tableaux très dynamiques, pleins de joie, portés par une forme d’énergie spontanée. La musique enregistrée est accompagnée par des percussions jouées sur scène et par des salves de paroles en coréen presque criées par les danseurs. Dès le tout début, on sent monter une force primitive, envahissant les danseurs et les danseuses à partir de leur ancrage dans le sol : les femmes sont d’abord seules sur scène (simplement encadrées par deux musiciens hommes), vêtues de robes de couleur élégantes, mi-longues ; chacune est enclavée dans une alvéole formée par trois énormes tambours, et elles se laissent peu à peu entraîner par les rythmes qu’elles créent à l’unisson. Ce puissant rythme percussif semble symboliser l’acceptation par l’homme (au sens général) de sa violence physique, laquelle se voit canalisée par la musique, esthétisée, domptée et transformée en force vitale rayonnante d’harmonie – il s’agit d’une problématique expressément asiatique, que l’on retrouve notamment dans le symbole du yin et du yang. Le travail stylistique de José Montalvo est soigné, ses chorégraphies captivent sans peine visuellement, d’autant que les interprètes sont d’une rigueur et d’une précision remarquables, à l’extrême limite de la perfection. Les passages avec des éventails sont d’une beauté à couper le souffle ; on jurerait que ces éventails font partie du corps des danseuses (et des danseurs), sont en réalité des ailes se déployant gracieusement dans le prolongement de leurs bras.