En complément d'une série de représentations scéniques dans une mise en scène de Damiano Micheletto au Teatre Regio, la troupe de l'opéra de Turin était de passage à Paris pour une unique version de concert avec une guest star de luxe en la personne de Diana Damrau, qui interprète en ce moment ce rôle sur les plus grandes scènes internationales. Les aficionados de lyrique se pressaient en nombre à cette occasion pour entendre la célèbre soprano colorature allemenade pour cette unique occasion de l'entendre à Paris cette saison.
Tirée de l'œuvre de Walter Scott The Bride of Lammermoor, Lucia di Lammermoor est un des premiers drames romantiques mettant en scène un couple dont l'amour s'oppose aux rivalités ancestrales entre deux familles (si ce n'est la localisation du drame en Écosse, on pense évidemment aux Capulets et Montaigus du Romeo et Juliette de Shakespeare). Dans ce qui est l'un de ses opéras les plus célèbres, Donizetti introduit qui plus est, avec la folie qui touche le rôle-titre, un élément tragique qui donne place dans la tradition opératique à de grandes scènes d'agilité vocale.
Le caractère et l'intensité dramatique de l'œuvre sont particulièrement bien servis par les troupes turinoises de l'Orchestre et du choeur du Teatro Regio, ce dernier, préparé par Claudio Fenoglio, faisant preuve d'une belle homogeneité et d'une remarquable articulation. L'ensemble de la distribution ayant interprété l'œuvre à la scène, les solistes sont libérés des partitions et pupitres et peuvent laisser libre cours à l'interprétation, avec plus ou moins d'aisance scénique suivant les chanteurs. Les ensembles vocaux sont particulièrement impressionnants d'unité et d'équilibre, et notamment le célébrissime sextuor du deuxième acte, véritable climax dramatique de l'œuvre.
Parmi les comprimari, on retient surtout dans le rôle Arturo, le timbre léger et élégant de Francesco Marsiglia, qu'on aimerait réentendre dans un rôle plus conséquent. En Raimondo, le personnage le plus modérateur de l'intrigue, Nicolas Testé (qui à la ville partage la vie de Diana Damrau) déploie une superbe ligne de chant et une grande noblesse dans son rôle de chapelain incapable de s'opposer au déchaînement des rivalités et d'empêcher le drame. Son timbre est superbe et son expression irréprochable même si on aurait aimé un peu plus d'engagement. Gabriele Viviani est un Enrico extrèmement efficace dans son autorité vindicative, avec une voix puissante et sombre malgré quelques aigus forcés, notamment dans son air introductif Cruda funesta smania. Il livre une très belle interprétation de ce rôle exigeant de défenseur de l'honneur familial prisonnier des traditions ancestrales. La scène de l'orage, habituellement coupée au début de l'acte 3 lui donne l'occasion d'un bel affrontement avec son rival l'Edgardo de Piero Pretti. Celui-ci, même s'il ne possède pas un timbre aussi séduisant que d'autres interprètes, réussit à triompher des redoutables difficultés du rôle grâce une technique assurée et des aigus faciles. Le grand duo d'amour Sulla tomba, où il offre de jolies nuances au diapason de sa partenaire est un des points culminants de la soirée, et il obtient un très beau succès en négociant de façon fort habile la redoutable scène finale Fra poco a me ricovero.