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Recréation et décadence pour le Samson de Raphaël Pichon et Claus Guth au Festival d’Aix

By , 07 July 2024

Et si, l’espace d’une soirée, il nous était permis de retrouver l’arche perdue qui, si elle eût été créée, aurait changé l’histoire de l’opéra ? C’est plus ou moins ce que proposent et affirment Raphaël Pichon et Claus Guth au Festival d’Aix-en-Provence. Remonter à partir de ses vestiges le Samson de Jean-Philippe Rameau daté de 1733, sur un livret de Voltaire, censuré à deux reprises pour cause d’impiété et donc jamais répété, et donc jamais entré dans les murs de la bibliothèque de l’Opéra, et donc perdu. Complètement perdu ? Pas tout à fait. On connait le livret, publié par Voltaire à la fin de sa vie dans ses œuvres complètes. On sait aussi que le matériau musical de cette œuvre à l’origine de la carrière opératique de Rameau a servi dans de nombreux opéras ultérieurs. Faute de pouvoir retrouver la lettre, il s’agit donc plutôt d’en saisir l’esprit.

Samson au Festival d'Aix
© Monika Rittershaus

S’est ensuivi un long travail de (re)création fait de nombreux allers-retours entre le texte, les différentes partitions et l’épreuve de la scène pour tester cette dramaturgie nouvelle et ce kaléidoscope musical. Le résultat est bluffant. À aucun moment nous ne sentons les coutures et cette œuvre retrouve toute la radicalité, la cruauté et l’efficacité du propos, si chers à Voltaire, et qui à ses yeux constituaient une véritable révolution esthétique à mener dans l’opéra. L’action, centrée autour de la figure héroïque mais impulsive et guerrière de Samson, est ramassée, les récitatifs économes. La fin, abrupte, est saisissante.

Cette entreprise archéologique s’illustre aussi parfaitement sur scène : dès l’entrée du Théâtre de l’Archevêché, on se retrouve face à un imposant et magnifique palais en ruine où évoluent tour à tour, dans l’agitation de l’avant-spectacle, des ouvriers qui prennent des relevés pour restaurer l’édifice, un SDF, et une femme, hagarde. On comprendra par la suite qu’il s’agit là des différentes strates d’histoires que superpose Claus Guth pour épaissir le drame initial dans une forme de concordance des temps : contemporain, historique et biblique. Strate la plus ancienne, le drame de Samson viendra ensuite se rejouer par anamnèse, par épisodes. Les paroles bibliques du Livre des Juges, projetées, tiennent le fil de l’histoire, et permettent d’universaliser un propos dont la résonance contemporaine géopolitique est naturellement très forte (le livret est situé à Gaza). Pour mener à bien ce projet, il fallait, en plus de la main d’un (re)créateur musical expérimenté, celle d’un homme de théâtre rodé aux exercices dramaturgiques.

Samson au Festival d'Aix
© Monika Rittershaus

La fiction, tissée autour de la mère de Samson (jouée par l’excellente comédienne Andréa Ferréol) nous apparait cependant superficielle et le texte qui lui a été inventé, où elle essaie de recoller les morceaux liés à la destruction du lieu – du temple – et la mort de son fils, jure car trop en contraste avec le chant et d’un contenu parfois trop naïf. De même, on restera perplexe devant les ralentis façon Matrix – pourtant très bien réalisés – aux moments où la violence s’exerce entre le peuple vêtu de noir, les philistins, et ceux en blanc, le peuple juif. Le geste épique est alors trop souligné.

Raphaël Pichon sait parfaitement diriger cette partition, grâce au chœur et à l’orchestre Pygmalion, biberonnés à cette musique. En ressort toute la théâtralité recherchée en leur temps par Rameau et Voltaire. Les percussions ne sont pas en reste lorsque Pichon pousse le trait en composant même des passages bruitistes entre les airs. Cependant, c’est véritablement après l’entracte que le spectacle prend une tournure exceptionnelle. Là s’enchainent les séquences les plus émouvantes (« Tristes apprêts, pâles flambeaux »). Là les risques pris par l’orchestre et les voix sont au maximum, comme lors de pianissimos aux limites de l’audible lors du « Par un sommeil agréable » tiré de Dardanus.

Samson au Festival d'Aix
© Monika Rittershaus

Là, l’action désormais pure et efficace nous prend dans ses rets, comme Samson charmé par Dalila qui se joue de lui pour quelques pièces d’argent afin de lui soutirer le secret de sa force. Là, l’exceptionnelle Jacquelyn Stucker en Dalila, idole fragile enchanteresse s’anime dans un jeu sans égal nous faisant oublier la voix par moments légèrement en-dessous de la tessiture du rôle. Son duo avec une flûte de l’orchestre restera l’un des plus beaux moments de la soirée. Dans le rôle de Timna, première épouse de Samson, Lea Desandre offre un beau contrepoint de sa voix haute et agile. Entre les deux femmes, le Samson de Jarrett Ott tient le rôle de bout en bout de manière tout à fait tellurique, mais sans charme particulier.

Là enfin, après l’Iphigénie bien terne de la veille, résidait peut-être la véritable soirée d’ouverture du Festival d’Aix-en-Provence.

****1
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“En ressort toute la théâtralité recherchée en leur temps par Rameau et Voltaire”
Reviewed at Théâtre de l'Archevêché, Aix-en-Provence on 4 July 2024
Rameau, Samson
Raphaël Pichon, Conductor
Claus Guth, Director
Étienne Pluss, Set Designer
Ursula Kudrna, Costume Designer
Bertrand Couderc, Lighting Designer
Ensemble Pygmalion
Mathis Nitschke, Sound Design
rocafilm, Video
Yvonne Gebauer, Dramaturgy
Jarrett Ott, Samson
Jacquelyn Stucker, Dalila
Lea Desandre, Timna
Nahuel Di Pierro, Achisch
Laurence Kilsby, Elon
Julie Roset, L'Ange
Antonin Rondepierre, Un convive
Andréa Ferréol, La mère de Samson
Sommer Ulrickson, Choreography
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