En guise d’ouverture, trois miniatures “pour 93 musiciens” de John Cage, où l'on entend guère plus de deux musiciens à la fois répercuter quelques sons dans la salle. L’œuvre est assurément visuelle : il est difficile de comprendre d’où vient le son, car sur scène, point d’unité entre les pupitres. Plus que dans la musique, le mouvement est dans le regard de l’auditeur, se demandant d’où provient ce son furtif, déjà évaporé pour laisser sa place à un autre. Fermant les yeux, on prend plaisir à se perdre dans le jeu des timbres et des couleurs. On est surpris de la proximité des timbres du violon et de la clarinette ; on l’est plus encore de la distance entre la sonorité d’un violon et celle d’un autre. La véritable force de cette introduction fut sans doute d’éveiller (pourrait-on dire : d’éduquer ?) l’oreille de l’auditeur, la rendant ainsi disponible pour la suite du programme.
Et quel programme ! Dans les Variations Rococo, Edgar Moreau et Cornelius Meister semblent animés par la même volonté de convaincre sans donner dans l’exubérance. La battue de Cornelius Meister est ample, loin de toute mécanique saccadée. Dès l’introduction, les musiciens tissent à Edgar Moreau un tapis de soie, et parviennent par leur souplesse à ne diffuser l’effusion qu’avec parcimonie. Il fallait au moins cet écrin pour le jeu racé du jeune violoncelliste. L’assurance est telle qu’elle lui permet de tirer de son instrument exactement le son qu’il désire. Il ne nous frappe pas par l’éclat de son vibrato, mais parvient à nous toucher dans le détachement et la sobriété qu’il imprime au thème initial. L’interprétation est ainsi conçue comme une série de miniatures sans véritable liant entre elles. Mais a-t-on véritablement besoin de transitions, quand chacun des éléments est exposé avec une implacable exactitude ? Dans la première variation, la profondeur de l’ancrage de l’archet permet de solliciter pleinement tout le tranchant des cordes ; on quitte la cantilène constituant la troisième variation admiratif de l’intelligence de la ligne (la belle variété de timbres d'Edgar Moreau est toujours mise au service de l’architecture de la phrase) ; quant au final, il est abordé avec beaucoup de légèreté (quel sautillé perlé !), bien loin de l’exercice de virtuosité que l’on entend trop souvent. Ce soir, c’est peut-être ce détachement dont on admira la maturité qui permit à Edgar Moreau de faire la différence entre effort et aisance, et de s’imposer moins en chantant qu’en déclamant son discours.