Les récitals « Piano Nouvelle Génération » de la Fondation Louis Vuitton tiennent décidément leur pari de promouvoir des talents accomplis dont l’éclosion récente n’en est pas moins fulgurante. Après Behzod Abduraimov en décembre et Béatrice Rana en janvier, c’est ce soir au tour du sicilien Giuseppe Guarrera d’enchanter le magnifique écrin de verre de l’Auditorium. Âgé de tout juste 26 ans, ce jeune italien au palmarès déjà bien fourni s’est illustré récemment au Canada en recevant 6 prix et récompenses lors du Concours Musical International de Montréal. Au programme de ce soir la sonate Appassionata de Beethoven, quelques Etudes-tableaux op.39 de Rachmaninov, la Polonaise-fantaisie de Chopin, les Estampes de Debussy pour finir avec la Rhapsodie espagnole de Liszt.
Giuseppe Guarrera n’est guère de ces pianistes dont on ne sait que penser à la première écoute et dont l’empreinte en laisse certains insensibles. Loin pourtant de faire preuve d’anticonformisme ou d’extravagance excessive, c’est avant tout par sa griffe fougueuse qu’il se démarque. Le sang italien coule à flot dans ses veines, avec lui l’ardeur, la vitalité, la violence parfois. Le bouillonnement intérieur ne se délasse jamais vraiment, et sous les moments de répit sourdent des fièvres enflammées. C’est un volcan dont l’irruption imminente menace, un orage prêt à gronder.
Guiseppe Guarrera donne à entendre l’affirmation de Romain Roland qui qualifiait la Sonate n°23 Appassionata de Beethoven d’un « torrent de feu dans un lit de granit ». Il insuffle à l’Allegro une ardeur grondante rendue par la virulence de terrifiants contrastes qu’il prend soin de pulvériser avec zèle. La plénitude sereine quasi attendrissante de l’Andante ne nous berce guère longtemps. Elle est balayée sans scrupules par la tempête acharnée de l’Allegro ma non troppo et de ses doubles croches qui fusent à toute allure. La prise de risque du pianiste dans cette sonate est faramineuse, et nous nous devons de la saluer. Elle n’est jamais à outrance cependant, et l’on ne perd rien de l’intelligibilité du propos. Saluons également l’intelligence de la dynamique du phrasé et par là cette volonté de servir la cohérence interne et la forme, comme en témoigne l’attention portée aux accents de la main gauche dans le mouvement final.
Des Etudes-Tableaux op.39 de Rachmaninov il nous jouera les n°2, 5, 8 et 9. On sent le pianiste à l’aise dans ce répertoire, dont il sait incarner à merveille toute la complexité et la noirceur. L’usage de la pédale de résonance dans le n°2 Lento Assai est remarquable d’intelligence, pédale qui distille solennellement le motif du Dies Irae tout au long de la pièce. La n°5, Appassionato, nous emporte dans un tumulte d’une rare violence, passionné et désespéré, dont le pianiste surpasse magistralement les monstrueuses difficultés techniques. Il a les moyens d’aller jusqu’au bout de ses intentions, et ne s’en prive jamais. Sa gestion des crescendo et de l’évolution dynamique de la n°8, Allegro Moderato, est impressionnante dans l’ampleur presque inattendue qu’elle prend à la fin, tandis que la n°9, Allegro Moderato, irradie avec fougue un spectre de couleur incomparable.