Sous le caractère abordable des concertos de Mozart se cache un enjeu de taille : seule une exécution parfaitement limpide, où l'interprète ne met rien de soi qui fasse écran, permet de restituer la présence sacrée du compositeur à son piano. Avec Jean-Claude Pennetier, la justesse du climat est immédiate ; sans aucune lourdeur, fièvre ou nervosité, le pianiste nous fait saisir à vif la beauté des 21ème et 24ème concertos pour piano. Dans un programme où Mozart dramaturge était partout présent, l'interprétation de Jean-Claude Pennetier invitait à la foi et à l'optimisme.
L'Allegro Maestoso du Concerto n° 21 semble tout droit sorti du gosier d'un basse-bouffe figaresque : la parenté avec certains passages des Noces est flagrante et l'opéra guette à chaque instant. Un opéra qui, certes, ne serait pas figuratif, mais ne perdrait en rien de son caractère dramatique. La clarté des premières injonctions au piano, sans fioritures, est un régal. Les phrasés de Jean-Claude Pennetier orientent l'attention de l'auditeur vers l'essentiel, vision propice et panoramique : le concerto est saisi dans son ensemble. Le très élégiaque Andante qui fait suite porte, dans sa douceur et sa stabilité, une grâce bouleversante. Les triolets de l'alto escortent les violons dans une sonorité idéalement terrienne, équilibre glissant habilement vers les mains du pianiste, qui reprend le chant céleste sans rupture de son. Gageons que les deux cornistes étaient enrhumés ; à la fin du mouvement, leur cortège par trop sonore couvrait le tressage radieux du piano. Invasion de doubles-croches dans l'Allegro Vivace Assai, dans lequel la pédale est raréfiée à des fins de lisibilité. Quelques légères inflexions dans l'amorce des traits sont les seules coquetteries d'interprète, images d'un art où pourtant rien n'est fortuit. Belle réussite d'ensemble, même si l'on n'est pas complètement à l'abri d'inégalités techniques côté piano.
Dans le Concerto n° 24, l'expansion musicale des mesures d'introduction orchestrale est résorbée par le piano en un chant pur. Le pianiste incarne avec succès cette « naïveté supérieure » sans laquelle Mozart n'est pas lui-même. La ligne est sans entrave : parfaite synthèse narrative du lumineux et du souterrain, dans ces pages qui réfléchissent de manière assez complète la physionomie de leur auteur. Jean-Claude Pennetier a clairement identifié et senti l'impossibilité de connaître l'élévation sans la payer en retour par l'ascèse. Le concert, mieux que le disque, permet de prendre la mesure de cette abnégation : le corps du pianiste est relâché ; le visage, tendu par la ferveur, évoque Arrau.