Dans le programme de salle conçu par Angers Nantes Opéra pour sa nouvelle production de La Traviata, la metteuse en scène Silvia Paoli annonce clairement la couleur : ce que nous allons voir n’est pas tant une histoire d’amour qui tourne mal en raison des contraintes sociales de l’époque et de la santé chancelante de l’héroïne que l’absolu désir – forcément condamné à l’échec – d’ascension sociale d’une courtisane dont la seule ambition est de se faire accepter et reconnaître par ce monde de riches et puissants (et en plus misogynes) qui de toutes façons ne voudra jamais d’elle.
Si cette approche a le mérite de la cohérence sur le papier, elle pèche par la façon dont elle s’évertue, parfois lourdement, à nous montrer des personnages masculins uniquement mus par les conventions et l’hypocrite morale bourgeoise de l’époque au point d’être entièrement dépourvus du moindre sentiment d’humanité (et on ne parle même pas d’amour ou de compassion). Heureusement, c’est Verdi lui-même qui nuance ce propos excessivement radical et le spectateur n’a aucun mal à voir dans les sentiments d’Alfredo à l’égard de Violetta plus que le simple désir de la posséder puis de ne voir en elle rien d’autre qu’une femme vénale. Et oui, Germont est un barbon sentencieux et soucieux de la bonne réputation de la famille, mais il est permis de croire qu’il change sincèrement d’avis sur Violetta à l’agonie, tout comme le médecin pourrait avoir un peu de compassion pour cette jeune femme mourante qu’il ne regarde même pas.
Il n’empêche que la direction d’acteurs de Sivia Paoli est bien claire et ne manque pas de quelques bonnes idées, comme lors du prélude où une danseuse, simplement vêtue de cette même longue chemise blanche que Violetta portera avant de rendre l’âme, fait face à un groupe d’hommes en frac et haut-de-forme qu’on pourrait prendre pour un jury et qu’on retrouvera au moment où Violetta poussera son dernier soupir. Juste avant, on ne verra pas Alfredo et Germont au chevet de Violetta agonisante : la scène sera jouée comme si l’héroïne, dans les délires du trépas, croyait parler aux deux hommes qui lui répondent depuis les coulisses – mais on pourrait tout aussi bien dire qu’ils se dérobent lâchement face à leurs responsabilités. On n’est pas obligé d’adhérer aux partis pris de Silvia Paoli, mais il faut lui reconnaître qu’elle ne travestit pas l’intrigue.