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Un rosier pour Richter, quelques épines pour Nguci et Kamei à la Grange de Meslay

Von , 12 Juni 2024

C'est au Quintette à cordes du Sinfonia Varsovia que revient l'honneur de refermer le premier week-end des soixantième Fêtes musicales en Touraine organisées à la Grange de Meslay au cours desquelles a été baptisé un nouveau rosier : « Sviatoslav Richter le pianiste libre » est un bel arbuste créé par Jean-Lin Lebrun des pépinières Mela Rosa. Richter aurait aimé cette rose au parfum capiteux. 

Le Quintette à cordes du Sinfonia Varsovia à la Grange de Meslay
© Gérard Proust

Les musiciens entrent donc sur scène pour jouer le Quintette op. 28 n° 4 de Luigi Boccherini. Sonorité d'ensemble, ronde et chaleureuse, jeu fondu laissant surgir de belles individualités... et pourtant au bout d'un mouvement on s'ennuie un peu de tant de calme beauté, de joliesse, d'amabilités. La faute au compositeur peut-être, dont les cent dix quintettes à cordes ne sont pas aussi passionnants que les fameux op. 25 n° 5 et 6 ou bien sûr que l'op. 30 n° 6 « La Musica notturna delle strade di Madrid », mais aussi à une esthétique d'interprétation qui fait l'impasse sur l'apport des musiciens baroques. Tout ceci gagnerait à un peu de délestage : joué plus incisif, plus alerte, moins rondouillard, ce quintette serait plus captivant.

Même cause, mêmes effets dans les deux concertos de Chopin où ils accompagnent Marie-Ange Nguci. D'ailleurs est-ce une bonne pratique ? L'idée reçue, répétée à l'envi, affirme que l'orchestration des concertos de Chopin est médiocre. C'est une erreur, car le compositeur a fait de l'orchestre un grand soutien harmonique au piano qui chante dessus de façon continue. Et il faut un chef qui sache accompagner le soliste comme on accompagne un chanteur à l'opéra. Les musiciens du Quintette du Sinfonia Varsovia jouent très bien, mais un chef manque ! Leur allure n'est pas assez décidée et paradoxalement ils jouent un peu lourd face à un piano qui mange tout cru les cinq cordes, bien que la pianiste jamais ne les écrase.

Marie-Ange Nguci à la Grange de Meslay
© Gérard Proust

La contrebasse semble comme souvent trainer derrière, ce qui n'est pas le cas, mais c'est l'impression qu'elle donne en alourdissant le flux musical. C'est aussi un problème de mariage entre instruments : il faudrait sortir un grand Érard cordes parallèles avec un tel instrumentarium. Surexposée donc et pas aussi à l'aise qu'attendu, car elle est une musicienne et une pianiste de premier plan, une forte en thème hypersensible, Marie-Ange Nguci fait des petites et plus grandes fautes dans le premier des deux concertos dont elle ne réussit pas à faire décoller le finale si dansant, un peu trop attirée vers la terre par un accompagnement qui ne la porte pas. Le Concerto en fa mineur lui va mieux et elle y chante avec finesse et une belle allure, mais là encore le finale manque de sveltesse.

La journée avait commencé par le récital de Masaya Kamei, vainqueur du dernier en date des Concours Long-Thibaud. Ce jeune homme est encore sagement l'étudiant de Momo Kodama en Allemagne, ce qui est une excellente chose car cette pianiste a un bagage musical et une ouverture intellectuelle qui protègent de tout enfermement dans une pseudo école stylistique. Il s'écoute un peu complaisamment dans l'introduction des Variations sur « Là ci darem la mano » de Chopin, comme s'il ne connaissait pas la version pour piano et orchestre, ne faisant ainsi pas entendre la différence entre tutti et solo. Et comme s'il n'avait pas dans l'oreille Don Giovanni, l'opéra de Mozart dont Chopin a tiré le thème qu'il commence à varier, avant même de l'avoir exposé : Kamei ne l'articule pas vocalement, mais l'égrène avec un son un peu lourd et un manque de vivacité rythmique qui se feront jour jusqu'à la fin, empêchant cette œuvre irrésistible de décoller. Il est urgent qu'il écoute le mordant vénéneux de Cesare Siepi...

Masaya Kamei à la Grange de Meslay
© Gérard Proust

Gaspard de la nuit évolue entre joliesse dans « Ondine », vaporeuse évocation dans « Le Gibet » et absence de dramaturgie dans « Scarbo ». Bien sûr, Islamey est un bon choix si l'on veut rappeler que Ravel a voulu faire plus difficile que cette pièce de Balakirev avec la troisième pièce de Gaspard. Mais pour rendre cette pièce étincelante, il faut une virtuosité ailée et féroce, un lyrisme discret que Kamei n'a pas encore. En bis, une mazurka de Chopin qui fait dresser l'oreille tant elle est finement dite et nostalgique. Masaya Kamei aurait dû en rester là, car l'Étude de Liszt d'après Paganini qu'il a ensuite jouée nous rappelait que s'il a des bons doigts, ils n'ont pas encore le délié, la fulgurance qu'il faut ici.


Le voyage d'Alain a été pris en charge par le Festival de la Grange de Meslay.

***11
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“on s'ennuie un peu de tant de calme beauté, de joliesse, d'amabilités”
Rezensierte Veranstaltung: Grange de Meslay, Parçay-Meslay, Tours, am 9 Juni 2024
Boccherini, String Quintet in C major, Op.25 no.4
Chopin, Klavierkonzert Nr. 1 in e-Moll, Op.11
Chopin, Klavierkonzert Nr. 2 in f-Moll, Op.21
Marie-Ange Nguci, Klavier
Quintette à cordes du Sinfonia Varsovia
Rezensierte Veranstaltung: Grange de Meslay, Parçay-Meslay, Tours, am 9 Juni 2024
Chopin, Variations in B flat major on "La ci darem la mano", Op.2
Ravel, Gaspard de la Nuit
Takemitsu, Rain Tree Sketch
Balakirew, Orientalische Fantasie, "Islamey", Op.18
Masaya Kamei, Klavier
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