Marie-Ange Nguci entre sur la scène installée sur le grand bassin du parc où se tiennent les grands concerts du Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron. Elle tient à la main droite une baguette de chef d'orchestre dont on ne vous garantira pas qu'elle ne tremblera pas quelques instants plus tard, quand elle donnera le départ de la Symphonie « classique » de Sergueï Prokofiev, mais pour l'instant elle salue le public avant de se tourner vers le Sinfonia Varsovia.
De fait, les premières mesures sont raides et flottent... C'est la première fois que la pianiste dirige en public, mais elle n'est pas une bleue dans cet exercice car elle assiste le patron de l'Orchestre national de Lyon. Elle sait donc y faire, mais sans doute le sentiment de ne pas avoir choisi une œuvre facile à diriger derrière ses apparences classiques, et l'évidence de son allure, font que son corps d'un coup se raidit. Très rapidement, tout se remet en place car elle sait rattraper en un éclair ce qui part mal. La musique se déploie avec la finesse, l'allégresse, la bonhommie paysanne un peu lourdaude de la « Gavotte » parfaitement rendue. Le « Larghetto » qui la précède avait été souple et chantant et le « Finale » sera bondissant avec un Sinfonia Varsovia attentif, coopératif et joueur.
Le plus dur – enfin façon de parler car cette symphonie de Prokofiev, comme celle de Georges Bizet, est redoutable – est à venir : Marie-Ange Nguci va jouer et diriger du piano le Concerto pour piano en ut majeur KV 467 de Mozart et le cinquième des concertos pour piano de Beethoven, dit « l'Empereur ». Quitte à se jeter à l'eau, Nguci n'a pas choisi le petit bain.
Le piano est installé, clavier vers le public, sans couvercle. La musicienne prend un tempo rapide, dirige avec souplesse un orchestre qui répond très bien. On perçoit très bien dans cette acoustique assez directe la qualité des vents comme la solidité des cordes qui attaquent avec netteté. C'est du Mozart... beethovénien, va-t-on dire. Et ce n'est en rien déplacé pour le plus symphonique – avec le KV 503 en do majeur – des concertos de Mozart. Le piano entre royalement, comme surgit un chanteur sur scène à l'opéra. Quelle allure, quelle vie, quelle façon de lancer les phrases avec une joie rayonnante ! Et puis ce tempo vif, en rien précipité, s'accompagne d'une souplesse qui transforme les traits en phrases qui chantent avec une liberté recréatrice – mais les notes des traits sont là et bien là.