C’est dans la grande salle Pierre Boulez que l’Orchestre de Paris a retrouvé, pour la nouvelle année, un de ses chefs légendaires : Christoph Eschenbach en a été le directeur musical pendant dix ans, entre 2000 et 2010, et revient chaque saison pour le plus grand plaisir des musiciens comme du public. Le programme proposé est représentatif de leur relation : deux pièces familières, La Valse de Ravel et la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, qu’Eschenbach a déjà dirigées avec ces musiciens, respectivement trois et cinq fois, et une autre que l’Orchestre de Paris n’avait plus jouée depuis 1999, le Schelomo ou Rhapsodie Hébraïque d’Ernest Bloch. Cette dernière présente le violoncelliste Julian Steckel en soliste, qui souffle un véritable vent de fraîcheur sur cette œuvre moins célèbre que le reste de l’affiche.
Le concert s’ouvre sur la Valse, hommage à Johann Strauss et aux danses viennoises. Dans les tutti, l’orchestre bouge comme un seul homme, et le spectacle est aussi beau à voir qu’un ballet. Le langage des mouvements un peu cassés et extravagants d’Eschenbach traduit un charme très pur, une communication claire et sans interruption entre chef et orchestre. La pièce est courte - seulement quatorze minutes - mais dense. Des notes élégantes et cristallines de la harpe et des percussions, émerge petit à petit un bouillonnement, puis un enragement Ravélien maîtrisé à merveille. Une virtuosité sans appel, sans un faux pli. Ou presque. L’aisance d’Eschenbach semble par endroits inciter les pupitres à courir après l’accélération du tempo dès que leurs traits mélodiques apparaissent, et les dialogues perdent en clarté. Dommage, car ces traits énonçaient des thèmes pastiches particulièrement plaisants. Néanmoins, l’apothéose finale éclate dans la salle et fait mouche.
Vient le Schelomo, tiré du cycle juif de Bloch écrit en 1915. Julian Steckel entre en scène. Une révélation. Sa partie est un air déchirant, une mélodie modale aux altérations chantées comme des pleurs, et quel son ! Tout fonctionne dans le jeu de cet interprète de haut vol, de sa sensibilité à sa technique assez impressionnante pour faire oublier la difficulté extrême de l’œuvre. Son instrument est la voix du roi Salomon. La pièce, construite à partir du texte de l’Ecclésiaste, oppose le prêcheur - le violoncelle - au reste du monde - l’orchestre - dans un tableau aux dimensions éminemment bibliques. Le premier dévore évidemment le second, au détriment de cuivres pas toujours trop solides. Sans doute trop absorbés par le son extraordinaire du soliste, certains manquent de peu un départ ou la cohésion d’un trait. Les cordes font cependant merveille, notamment le violoncelle solo Emmanuel Gaugué qui double Steckel à la fin de la pièce avec brio. Une découverte, ou redécouverte pour certains, d’un morceau tout bonnement magnifique et bien trop peu joué.