Dans l’imaginaire culturel collectif les Horaces sont incarnés par le tableau de David de 1785 où les trois fils Horace prêtent serment à leur père avant d’aller combattre les trois Curiaces alors que chaque fratrie a une sœur fiancée au clan adverse. Une tragédie qui oppose amour et devoir dans un dilemme typiquement cornélien, et que Corneille lui-même avait immortalisé par sa pièce Horace en 1640.
L’opéra de Salieri n’ayant pas été rejoué depuis sa création en 1786 faute de succès, cette tragédie était donc une découverte. Dès l’ouverture par l’orchestre des Talens Lyriques, le ton est donné : enlevée voire martiale, elle nous annonce que nous allons assister à une œuvre héroïque, les vents venant rehausser le jeu d’un souffle quasi divin. Le plateau musical est en effet l’une des belles découvertes de cette soirée, soutenant l’action qui se joue devant nous, amplifiant les scènes de combat intérieur et instaurant une véritable tension tout au long de l’œuvre jusque dans les intermèdes qui, en faisant retomber l’action, créent un véritable suspens. Les cordes sont énergiques et les cuivres magnifiques. La direction imperturbable de Christophe Rousset met en valeur les moments clés, comme le récit par le chevalier Valère à l’acte III du stratagème du jeune Horace. Il veille, par sa direction, à rendre la musique la plus fidèle possible à la spécificité française de l’époque, celle du grand théâtre exprimant pleinement les émotions et les larmes. Une musique théâtrale qui marque profondément les esprits.
Il est dommage toutefois que le librettiste Nicolas-François Guillard ait autant réduit les personnages : des trois Horaces et Curiaces il ne reste qu’un des frères. Sabine, amoureuse du jeune Horace, a disparu. Une action réduite à l’extrême et des personnages souvent trop monolithiques : le jeune Horace, s’il ne tue pas sa sœur Camille comme dans Corneille, condamne davantage la douleur de sa sœur que la mort de son ami Curiace. Le vieil Horace, lui, s’inscrit davantage dans la lignée familiale que dans l’amour paternel - il maudit son fils lorsqu’il croit que celui-ci a fui par lâcheté alors qu’il s’apprêtait en fait à prendre les Curiaces en revers, et refuse de se laisser apitoyer par sa fille Camille. Seul Curiace et Camille semblent apporter une certaine humanité, et dualité, à l’ensemble des personnages.
Cette répartition des rôles se retrouve dans le mise en scène des chanteurs, toute relative il est vrai puisque l’opéra nous est montré en version concert. Camille (Judith van Wanroij) incarne la rébellion face aux vertus civiques incarnées par les hommes. Musicalement elle marque le trio avec Curiace et le vieil Horace à la fin de l’acte I, par l’amplitude de la voix, ses graves et aigus robustes et une ligne de chant bien tenue. C’est elle également que l’on remarque à la fin de de l’acte II quand elle comprend que son fiancé la quitte pour combattre son propre frère. Elle interprète avec une profonde justesse la fin de l’acte III où, folle de douleur, elle blasphème contre Rome qui lui a volé son amant. On peut tout juste lui reprocher une diction parfois moins claire dans certains récitatifs. Curiace est très bien interprété par Cyrille Dubois, qui nous livre un bouleversant dilemme cornélien à la fin de l’acte II, où il doit choisir entre Camille et l’honneur de défendre sa patrie en combattant le frère de celle-ci.