Dans un article en forme de note d’intention, Antoine Tamestit avait prévenu ses spectateurs. Quand l’altiste entre d’un pas hésitant sur la scène de la Philharmonie, alors que l’Orchestre de Paris a déjà attaqué les premières notes de Harold en Italie, on est tout de même frappé par la théâtralité qu’il propose. Tantôt rêveur, tantôt virevoltant, toujours rayonnant, Tamestit va incarner un Harold plus vrai que nature tout au long des quatre mouvements de l’œuvre de Berlioz. Il ne se contente pas d’interpréter sa partition avec une indéniable virtuosité instrumentale ; il ajoute à cela une vraie mise en scène : du duo intime avec la harpiste au quatuor final en haut des gradins derrière l’orchestre, l’altiste transforme cette symphonie (dé)concertante en parcours initiatique des plus cohérents.
Si l’artiste prend des libertés avec les indications de Berlioz, on peut penser que celui-ci n’aurait pas désapprouvé de telles initiatives. Harold est une œuvre narrative avant tout, depuis ses rêveries de promeneur solitaire (mouvement I) à l’attaque des brigands (finale), en passant par une procession religieuse (II). Berlioz caractérise et spatialise les instruments pour favoriser l’imagination des auditeurs. Ce soir, l’interprétation prend en compte cette dimension spectaculaire : menés par un excellent hautbois solo, les bois acceptent de se travestir en flûtiaux nasillards entre deux sérénades (III). Un peu plus tôt, le maestro Daniel Harding a brossé un beau crescendo de cordes simulant l’avancée des pèlerins (II). Les propositions d’Antoine Tamestit restent cependant les plus marquantes : jouant tout sourire le thème joyeux du premier mouvement, rejoignant le cor pour commenter la procession des violons en contrebas, sursautant à l’interruption brutale de l’orchestre, l’altiste donne un relief rarement perçu dans cette partition. Son jeu strictement instrumental n’en souffre pas un seul instant : son timbre multiforme passe rapidement d’un registre grave solidement ancré à des mélodies aériennes ; son vibrato varié donne à ses répliques des accents mélancoliques ou un formidable panache.
On regrette en revanche que le héros berliozien n’ait pas été mieux secondé. Après une introduction plombée par un tempo d’une lenteur étonnante, l’Orchestre de Paris ne décolle que trop rarement. La pâte compacte de l’ensemble permet certes d’unifier le décor mais les détails se perdent dans la masse : hétérogènes, les traits de violons manquent de définition et les vents connaissent des décalages fréquents avec l’alto principal. Débarrassé du soliste, l’orchestre retrouve de sa superbe dans le finale : magnifiquement amenée, la conclusion explosive compense les approximations entendues plus tôt.