Riccardo Muti dans Verdi, c’est Furtwängler dans Beethoven, Bernstein dans Mahler ou Knappertsbusch dans Wagner : l’histoire d’un long compagnonnage qui résonne comme une évidence. Un must, a fortiori dans le Requiem qui pour être spectaculaire n’en est pas moins une œuvre difficile à approcher. « Opéra en robe d’ecclésiastique », ironisait von Bülow qui avouons-le n’avait peut-être pas entièrement tort, cette messe des morts à mi-chemin entre les planches et l’autel ne souffre pas qu’on la réduise à l’une ou l’autre de ces extrémités. Juste équilibre que trouve le maestro à la Philharmonie de Paris, au pupitre de l’Orchestre National de France qu’il visite régulièrement depuis quarante ans.
Immédiatement, l’auditeur est saisi par la direction de Riccardo Muti, jeune homme de quatre-vingt-trois ans qui n’a perdu ni en mobilité ni en souplesse, encore moins en superbe, dont la gestique sans chiqué et le charisme jamais galvaudé concentrent le discours jusqu’à l’essence. Les musiciens y sont sensibles : pas une oreille ne bouge dans les rangs du National. Il faut dire que la conception, l’interprétation du texte confine à un degré d’évidence rarement atteint. Du naturel des tempos à l’étagement des plans sonores, toujours au cordeau, en passant par la simplicité du dessin, Muti dégage le superflu au profit d’une forme vibrante d’ascèse musicale. Face à lui qui compare Verdi à Michel-Ange, on est tenté ce soir d’associer son Requiem à la Pietà du sculpteur : matière sonore parfaitement polie, drapé orchestral détaillé, expressions sereines face à la mort.
Alors pourquoi ce sentiment d’être resté extérieur au drame qui se joue, de contempler un édifice majestueux mais verrouillé ? Peut-être parce que le marbre que taille le chef est un peu dur au toucher, que la beauté est lissée au détriment de ses aspérités, que l’incandescence semble ce soir un peu froide. Peut-être parce que le drame, s’il ne tourne pas le dos à l’expression, aux couleurs, aux caractères, demeure toutefois en dehors de la passion. Le maestro a beau se montrer investi, il paraît parfois entravé – souvent contraint de donner dans la petite correction – par l’orchestre : une distance semble se créer qui ne s’effacera qu'un peu tard, au gré d’un Libera me qui verra enfin le chef se dérider pour s’ouvrir à l’extase. De son côté, la phalange radiophonique se hisse certes à un degré de réalisation assez spectaculaire ; reste que les cordes manquent de cette densité, de cette profondeur du spectre, de ce grain nécessaires pour creuser les abîmes de la partition. On chipote, mais si le courant passe entre chef et musiciens, la soirée n'atteint pas le niveau d'alchimie qui aurait pu la rendre absolument mémorable.