A peine diplômée du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Camille Pépin remporte en 2015 le Prix du Jury et le Coup de Coeur du public au Concours de Composition Île de Créations avec sa pièce Vajrayana, créée à la Philharmonie de Paris par l’Orchestre national d'Île de France sous la baguette de Nicholas Collon. Elle obtient la même année le Grand Prix SACEM Musique dans la catégorie « jeune compositeur ». Rencontre avec cette jeune compositrice française à l'avenir prometteur.
Pouvez-vous nous décrire votre musique ?
J’essaye de faire une musique accessible à tous. J’utilise des ressources en fonction du caractère ou de l’expression musicale que je souhaite sans m’imposer un langage particulier. Je laisse venir en fonction de mon inspiration. Je trouve anti-musical de s’imposer des contraintes supplémentaires, on en a déjà suffisamment au niveau de l’effectif et de la durée.
Ensuite, je pense que ma musique est surtout rythmique. Mes idées mélodiques découlent d’abord d’une métrique. Je fonctionne souvent sur des ostinatos, des sortes de nappes, et il y a des sensations qui sont d’abord corporelles avant d’être mélodiques.
Pour l’instant, ma musique pourrait très bien être chorégraphiée, on pourrait en faire un ballet. Mais je ne pense pas qu’elle fonctionnerait pour un opéra, car la gestion de la mélodie n’est pas quelque chose de naturel et spontané dans ma musique.
De quelle manière composez-vous ?
J’ai une ou plusieurs idées rythmiques dans la tête ou simplement trois notes que j'écris tout de suite. Ce sont des bribes uniquement. Je les agence ensuite. Je transforme beaucoup et j’essaye de voir toutes les possibilités. Je construis, je déconstruis, j’enlève tout et... je recommence. C’est semblable à un travail d’architecte. J’essaye de voir comment je peux mener une forme et comment je peux la finir. Je sais plus souvent comment je vais terminer. Et en fonction de la fin, tout le déroulement est différent.
J’écris très rapidement sur Sibelius*, un support. Je n’ai pas de copiste, je réalise tout moi-même.
Pour qui composez-vous ?
Pour ceux qui me le demandent, ce sont des commandes. Quand un musicien, un ensemble ou un orchestre me demande une pièce, je le vois comme une marque de confiance et j’essaye de respecter ça au maximum, en temps et en heure aussi.
Récemment, j’ai eu plusieurs commandes : une de l’ensemble Polygones, un quintet de musique de chambre, ainsi que des commandes de festivals comme Jeunes talents, La Brèche, et Présences Féminines.
J'ai aussi des projets avec l'Orchestre National d’Île-de-France et l'Orchestre Philharmonique de Radio France.
Ça vient petit à petit, parfois avec des coups de cœur, des rencontres. Il y a quelques années, j’ai écouté les récitals d’une jeune pianiste qui s’appelle Celia Oneto Bensaid. J’ai trouvé son jeu tellement incroyable et généreux que j'ai eu envie d'écrire une pièce pour elle. Ce sont des idées que je ne pourrai pas donner à quelqu’un d’autre.
D'où vient votre inspiration ?
Elle peut venir des musiciens, comme avec Celia, mais aussi de mes lectures ou des expositions que je vais voir. Je suis plutôt « littérature anglaise », de John Milton à William Blake. C’est un milieu qui me donne des images qui parfois se ressentent dans ma musique.
Je m’inspire beaucoup de courants comme celui de la première moitié du XXème siècle par exemple, que ce soit l’impressionnisme en France ou bien les russes avec Nijinski,
Il y a aussi les estampes japonaises que je trouve incroyables, Hokusai, Kuniyoshi. Ça plonge dans un autre univers. Il n’y a pas longtemps, j’ai fait une pièce pour ensemble de cuivres sur un tableau d’un peintre danois, Jens Ferdinand Willumsen. Ce tableau s’appelle Jotunheim, un des neuf monde de la mythologie scandinave, un monde de glace. L'oeuvre représente un paysage de montagnes norvégiennes qui se reflètent sur un lac glacé.
Une de vos œuvres se nomme Vajrayana, quel lien avez-vous avec le bouddhisme ?
Je n’en ai pas particulièrement, on me pose souvent cette question…[sourire]
En fait, dans la contrainte du concours Île de créations , il fallait composer une pièce en cinq mouvements de deux minutes chacun. J’ai donc recherché quelque chose de cohérent qui fonctionnerait en cinq, et j’ai trouvé les cinq éléments issus de la religion tibétaine. Le dernier élément, en plus de nos quatre éléments occidentaux, c’est l’espace qui contient tous les autres éléments. D'autre part, la pièce devait correspondre au format radio de l’émission Alla Breve sur France musique. C’est un format très court. On a à peine le temps d’énoncer une idée qu’il faut déjà penser à la fin.
À quel âge avez-vous composé votre première pièce ?
Vers l’âge de treize ans. J’ai commencé à composer des pièces que je n’ai jamais terminé. J’en ai « jeté » plein mais ça m’a fait la main. C’est un geste aussi, le fait de noter une idée qu’on a dans la tête. On idéalise un truc complètement dément et il faut parvenir à l’extirper pour le noter et lui donner vie sur le papier. C’est le plus difficile. Avant, je n’avais pas les moyens techniques pour le faire, donc je « jetais » des pièces. Maintenant, je commence à y arriver.
Quels sont vos compositeurs préférés ?
Aujourd’hui, il y a des compositeurs qui m’inspirent plus que d’autres. C’est lié à mon parcours. Ceux qui m’inspirent, je les ai eu comme professeurs.
Il y a Thierry Escaich, un des premiers compositeurs contemporains que j’ai découvert quand j’étais jeune et j’ai eu un coup de cœur musical. Il a un univers profondément angoissé dont je me sens proche.
J’ai étudié les pièces pour orchestre de Guillaume Connesson et j’ai voulu intégrer sa classe d’orchestration. Il m’a tout appris pour l’orchestre, c’est un maître absolu en la matière.
Fabien Waksman, que j’ai eu pendant ma première année au Conservatoire. Sa musique est encore plus rythmique que la mienne. Il y a quelque chose de naturel et de fluide quand on écoute sa musique. Je suis de très près toutes ses créations. Et à chaque fois, je me demande comment faire pour avoir autant de naturel, ça me fascine. J’ai cette même sensation quand j’écoute Debussy ou Dutilleux, tout est parfait.