La violoniste Svetlana Sazonenko aime séjourner là où elle peut enrichir son expérience personnelle, son répertoire musical. S'adaptant aisément aux langues, à divers modes de vie et d'expression, elle assume ses dépaysements, en particulier celui qui l'a menée de son Ukraine natale vers la région des "Trois Frontières", allemande, suisse, française, en Alsace où elle est maintenant établie. Grande voyageuse entre les cultures, les genres musicaux, elle sait aussi s'adresser aux publics les plus divers. A une époque où le retour de particularismes discutables, de nationalismes repliés sur eux-mêmes peut jeter le trouble, le témoignage de Svetlana Sazonenko prouve une nouvelle fois que la culture, et la musique en particulier, sont source d'épanouissement, par delà les frontières, pour des esprits à la fois curieux et généreux.
Née à Kharkov, en Ukraine vous y avez reçu votre éducation musicale et générale. Comment ce milieu vous a-t-il permis de forger votre personnalité, notamment artistique ?
Mon père, chercheur scientifique et ma mère ingénieure, étaient tous deux passionnés de musique. Dès mon plus jeune âge mes parents m’ont emmenée aux concerts classiques, à l’opéra et au ballet. A la maison il y avait une solide tradition de chant, mon père nous accompagnant à la guitare. Nous chantions l’amour, les voyages et aussi la montagne, domaine dont mon père était aussi passionné, pratiquant un alpinisme de haut niveau avec à son actif plusieurs "7000 mètres". Ainsi ai-je été plongée dans un bain de musique et de découverte pour ne pas dire d'aventure depuis ma naissance.
Je suis entrée à six ans à l'école-internat de Kharkov dispensant la formation musicale parallèlement à l'enseignement général. Cette école était l'une des cinq écoles spécialisées en musique en Ukraine avec un très haut standard, dans la tradition de « l’École russe ». J'ai eu la chance d'y approcher Alexandr Yuryev, un des meilleurs professeurs de violon de l’époque, qui m’a destinée du haut de sa belle autorité à cet instrument : dès notre première rencontre, il a déclaré : "Svetlana sera violoniste" ! Et la chose s'est ainsi réalisée ! Cependant, la formation que j'ai reçue était ouverte sur de nombreux domaines : à part ma spécialité, le violon, j’ai étudié le piano, la musique de chambre, le quatuor à cordes, la théorie, l'analyse, l'écriture, l’histoire de la musique.
Un orchestre symphonique étant constitué au sein de l’école, j'y ai fait mes premières armes en public. Je me souviens notamment d'une tournée en Allemagne au cours de laquelle nous avions joué Hänsel et Gretel de Humperdinck à l’Opéra de Nüremberg, puis donné des concerts au Hannover Congress Centrum. A l’issue de ma scolarité, je suis entré au Conservatoire Supérieur de Kharkov. Là, j’ai eu la chance de suivre l'enseignement du professeur Grigori Kuperman, excellent pédagogue en même temps que brillant violoniste exerçant également comme Violon Solo à l'opéra. Durant mes études j’ai remporté le concours me permettant de devenir co-soliste de l'Orchestre Symphonique Slobozhanskiy de Kharkov. J’ai débuté là ma carrière de soliste en jouant le Concerto pour violon n°1 en la mineur de Chostakovitch.
Votre passion pour la musique et vos études couronnées de succès auraient sans doute pu vous assurer une carrière dans votre pays mais vous avez choisi une autre voie : vous vous êtes établie dans d'autres régions assimilant leur culture, l'incorporant à celle que vous aviez reçue de votre pays natal.
J’ai quitté ma Kharkov natale pour un contrat de violoniste dans un duo violon-piano en Turquie, puis j'ai été également chargée d'enseignement musical à Antalya. J'y suis restée cinq ans. J’ai appris à connaître ce beau pays avec ses riches traditions. D’un côté la Turquie a des musiciens mondialement connus comme Fazil Say ; d'un autre côté la musique traditionnelle a une place incontournable. J'ai également eu le bonheur d'enseigner la musique à des enfants turques avec lesquels je reste en contact aujourd’hui encore. Cette expérience a constitué pour moi un bel encouragement à continuer de travailler pour la compréhension entre les hommes, grâce à la musique.
C’est à Antalya que j'ai rencontré un français, devenu depuis mon mari. Je l'ai suivi en France, plus précisément en Alsace, à Mulhouse, région frontalière entre la France, l'Allemagne et la Suisse. La vie musicale connaît un grand dynamisme dans et autour de cette ville avec des cités rayonnantes comme Strasbourg, Bâle, Fribourg-en-Brisgau. Ceci me convenait évidemment mais, professionnellement, j'ai dû opérer un nouveau départ : apprendre le français, faire connaissance avec l’école de violon française, redémarrer une carrière. Je suis reconnaissante au Conservatoire de Mulhouse qui m’a ouvert ses portes pour un période d’adaptation. En outre, j'ai pu y approfondir la connaissance du jazz. Sur le plan administratif, il m'a fallu obtenir la validation de mes diplômes ukrainiens, faire le nécessaire pour être admise à délivrer l'enseignement musical en France. Aujourd’hui je suis titulaire du Diplôme d’État de professeur de violon en France. Je suis également fière d'avoir obtenu le Certificat de fin de 3e cycle de jazz !
Professeur de violon au Conservatoire de Mulhouse, je participe aux nombreux concerts proposés par cette institution : Soirées des Lauréats, Heure Musicale, concerts de musique baroque. J'ai repris le rôle de soliste en jouant la Shéhérazade de Rimsky-Korsakov avec l’orchestre symphonique du conservatoire. Mon implication dans le domaine du jazz m'a conduite vers un groupe dénommé Kathy Faller, spécialisé dans le Jazz-afrobeat popularisé en Afrique dans les années 1970 par le musicien nigérian Fela Kuti. Nous avons donné de nombreux concerts et avons enregistré deux CD. Ceci m'a familiarisée davantage encore avec le violon électrique amplifié que j'avais déjà pratiqué en Turquie et que j'utilise également dans d'autres circonstances ; l’approche est totalement différente par rapport au violon acoustique. Je m’entends plutôt à partir du retour de scène tandis que la qualité du son dépend du réglage effectué par l’ingénieur du son.