Figure immanquable de la jeune génération baroque française, le violoniste Théotime Langlois de Swarte revient sur son parcours, son instrument, ses collaborations et ses choix de répertoire.
Nicolas Mathieu : Quand s’est faite votre révélation à la musique baroque ?
Théotime Langlois de Swarte : Elle s’est faite très jeune, car mes parents sont professeurs de chant. J’ai toujours entendu de la musique baroque à la maison et c’est une musique qui m’a toujours plu. Je me souviens des débuts du label Alpha, j’étais tout petit et j’écoutais tous les disques qui sortaient ! Tout cela m’a énormément influencé. Je chantais aussi beaucoup de musique baroque dans le chœur que dirigeait ma mère. Ensuite, mon grand frère Sylvain Sartre jouait de la flûte traversière baroque, et ma sœur Pauline Langlois de la viole de gambe, du clavecin et du piano. À 9 ans, je me suis donc mis au violon baroque pour pouvoir jouer avec elle. C’est assez jeune par rapport à ce qui se fait d’habitude, c’est-à-dire commencer le baroque après un cursus en violon moderne. Par la suite, j’ai suivi des masterclasses de Patrick Bismuth et c’est à ce moment-là que j’ai connu ma véritable révélation baroque.
Qu’avez-vous retenu de votre parcours au CNSM de Paris ensuite ?
Principalement ma rencontre avec mon professeur de violon moderne, Michaël Hentz, qui a été l’une des plus grandes révélations musicales de ma vie. Il m’a pris sous son aile avec beaucoup de générosité et m’a donné des cours de violon, mais aussi de musique de chambre. J’avais donc des semaines très remplies avec lui. C’est une école des tempos très lents, à la recherche d’un legato, d’un lyrisme, d’une patte sonore particulière. Cela m’a permis de chercher la profondeur du son, de la résonance. J’ai énormément appris avec lui pendant cinq ans et je garderai cet apprentissage en moi toute ma vie. Quand je joue une note, il n’est jamais bien loin.
En 2019, alors lauréat de la Jumpstart Jr. Foundation, vous recevez pour dix ans un violon de Jacob Stainer conçu en 1665. Qu’est-ce qui caractérise le son de cet instrument ?
L’instrument est le prolongement de nous-mêmes dans le sens où il va nous permettre de nous exprimer. La rencontre d’un musicien avec son instrument passe d’abord par une confrontation, où doit s’opérer un échange, un partage, une écoute réciproque. On s’adapte énormément à ce que propose l’autre, et cela prend du temps. Ce violon a un son mordoré et un timbre profondément mélancolique, mais aussi une brillance qu’il faut aller chercher, car il ne l’offre pas immédiatement. J’ai beaucoup travaillé pour trouver ce scintillement propre au violon dans les aigus. Il ne faut pas oublier que le violon a connu son essor à l’époque baroque, car le baroque, c’est précisément la résonance et le scintillant. Et le violon incarne les deux.
Quelles sont les différences entre le jeu baroque et le jeu moderne ?
Dans le jeu baroque, l’archet est plus léger, il y a moins de crins, et il est en forme d’arc. Il y a plus de poids au talon qu’à la pointe, ce qui fait que la réaction à la corde est différente par rapport à celle que l’on obtient avec un archet plus récent. De plus, on joue avec trois cordes en boyau nu. Cela favorise énormément la résonance par sympathie entre les cordes tout en apportant un son charnu. Quand on joue du violon baroque, la question que l’on doit se poser, et William Christie insiste beaucoup sur ce point, c’est l’imitation. La rhétorique baroque est le discours, et le discours est la vocalité. Nos meilleurs exemples sont donc les chanteurs. Et à partir du moment où on les imite, on ne sera jamais complètement dans l’erreur. Bien sûr, il y a aussi dans notre jeu des articulations plus instrumentales. Il faut donc choisir ce qui relève de la vocalité et ce qui relève d’une figure purement instrumentale et virtuose.
Votre répertoire articule des œuvres connues et des partitions plus rares. Comment vous y prenez-vous pour définir vos programmes ?
Un musicien aujourd’hui doit définir son but, sa mission, sa raison d’être. Il doit toujours se demander ce qui fait que son projet est unique. On peut soit réaliser de nouvelles versions du Concerto de Tchaïkovski, soit choisir un répertoire qui n’a jamais été joué ou enregistré, et où il y a de véritables partis pris à chercher. Parfois j’aimerais jouer uniquement des compositeurs inconnus, mais je sais que cela n’interpellera pas les publics. Il faut donc trouver quelque chose qui va éveiller leur curiosité. D’où l’histoire du Mad Lover (« L’Amant transi »), objet de mon dernier disque, qui est non seulement le nom de la première pièce au programme, mais aussi un Mad Lover imaginaire que chacun peut se représenter facilement. Et c’est par le prétexte de l’histoire de ce personnage hypothétique que l’on va pouvoir présenter des œuvres totalement inconnues.