Depuis qu’elle a remporté en 2000 le Prix de la Reine Fabiola et le Prix du Lied au Concours Reine Elisabeth de Belgique, la contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux mène une carrière internationale la conduisant à explorer de multiples répertoires. Rencontre autour de ses prochaines prises de rôle et des compositeurs qui ont marqué sa carrière, plus particulièrement Berlioz et Rossini, auquel a elle a consacré son dernier enregistrement.
Vous serez prochainement dans Les Troyens de Berlioz, aux côtés de Joyce Di Donato, Michael Spyres, et Stéphane Degout. Comment abordez-vous cet opéra, et plus particulièrement le rôle de Cassandre ?
M.-N. L. : Cette année est vraiment celle des prises de rôle, j’ai déjà chanté Bertarido et survécu à Carmen !
C’est drôle parce qu’au début de ma carrière, quelqu’un était venu me voir après un concert, m’a regardé et m’a dit : « dans quelques années, vous serez Cassandre ! » Je me rappelle bien avoir regardé la partition et m’être dit « non, non, ça ne va pas… ». Mon premier contact avec Les Troyens s’est fait en 2006 au travers du rôle d’Anna, la sœur de Didon. J’ai toujours beaucoup aimé cet opéra, ainsi que Berlioz, mais je me voyais plus faire Didon. Le traitement vocal de Didon est très doux, il y a beaucoup de sensualité, beaucoup de lignes délicates, par exemple dans les duos avec le ténor.
J’ai toujours trouvé que Cassandre était un rôle magnifique, mais il me fait peur, comme tous les rôles « hystériques ». Cassandre a beaucoup de visions, c’est très dramatique, et ces rôles dramatiques m'inquiètent toujours étant donné ma nature assez intense ! Pour avoir fait Orlando sur scène, où il y a aussi beaucoup de drame, j’ai toujours quelques craintes…
Quand on m’a proposé Cassandre, cette fois-ci je me suis dit : bon, je vais regarder la partition. J’ai essayé le premier air, puis la première scène, et cela allait très bien. J’avais encore quelques doutes, alors j’en ai parlé à mon professeur qui m’a répondu : « écoute, tu es rendue à un point où tu fais un rôle parce que tu en as envie ».
Et puis, le contexte est tellement formidable… je vais retrouver John Nelson qui fut l’un des premiers à m’avoir entendue en audition, en 2000 ! Je retrouverai aussi Joyce DiDonato, une artiste que je respecte énormément, avec qui j’ai partagé la scène dans Ariodante en 2011, mais aussi Stéphane Degout, Marianne Crebassa… Je vois cela comme un beau défi, et maintenant je me sens prête !
Berlioz semble avoir une importance particulière dans votre carrière. Vous avez enregistré Les Nuits d’été aux côtés du pianiste Daniel Blumenthal, et chanterez cette œuvre aux côtés de Yannick Nézet-Seguin et de l'orchestre Métropolitain de Montréal en novembre prochain…
C’était mon premier enregistrement, en 2000, j’étais déjà accompagnée par Daniel Blumenthal, je débutais ! Depuis je n’ai jamais cessé de chanter Les Nuits d’été, cela a toujours accompagné mon parcours. J’ai hâte de débuter cette tournée !
Berlioz a une importance particulière pour moi car mon coup de cœur pour la musique classique m’est venu grâce à lui. Quand j’avais 10 ans, mon père avait acheté un disque de Pavarotti dans lequel il y avait L’Enfance du Christ. Quelques années plus tard, à la bibliothèque du conservatoire, mon professeur m’avait dit : « va écouter ça, c’est pour toi ». C’était un enregistrement de Janet Baker interprétant Le spectre de la rose… quand j’en parle, j’en ai encore des frissons ! Et ma toute première audition, c’était pour chanter un petit rôle dans Béatrice et Bénédict… Berlioz me poursuit ! Ce rôle, c’était pour moi, je ne pouvais pas ne pas faire Cassandre !
Au fil du temps, je me suis rendue compte que Berlioz ne plaisait pas à tout le monde, et que loin d’être un compositeur facile, c’est un compositeur exigeant. Michel Plasson me disait : « Berlioz c’est une musique fragile, qui nécessite d’être chantée et jouée par des musiciens qui savent où ils vont. » En effet, dans Berlioz, les harmonies nous surprennent. Et c’est pour moi un génie de l’orchestration, il y a un langage propre à sa musique, on ne s’y ennuie jamais !
Il faut être assez solide techniquement pour le chanter, et avoir un certain confort dans la langue française – même si les plus grands interprètes de Berlioz étaient anglophones d’origine : Janet Baker, et Jon Vickers... Mais n’oublions pas Régine Crespin, et sa magnifique interprétation de La Mort de Cléopâtre.
Vous interprétez Bertarido dans Rodelinda de Haendel dans quelques jours au Théâtre des Champs-Elysées. Ces dernières années, vous semblez pourtant vous être quelque peu éloignée du répertoire baroque… Etait-il important d’amener une sorte de rupture ?
J’ai décidé de faire Bertarido parce que j’aime ce rôle. J’adore la musique baroque, mais au conservatoire, je ne pensais pas devenir un jour une chanteuse baroque. Le baroque est arrivé malgré moi. Je ne me suis jamais vue comme une grande vocalisatrice !
Le baroque m’a permis de travailler, de me faire connaître, mais aussi de travailler ma voix, de la faire évoluer en toute sécurité. Dans le répertoire baroque et classique, les rôles pour contralto sont plus nombreux. Il y a aussi des rôles pour contralto dans le répertoire romantique, mais cela nécessite une plus grande maturité vocale. Je pense à Verdi : on ne va pas chanter Ulrica à 24 ans ! Même chose pour Quickly ou Dalila. Les voix graves demandent du temps.