Après I Puritani (“Les Puritains”) en novembre 2013, l’Opéra de Paris propose un deuxième opéra de Bellini cette saison: I Capuleti e i Montecchi (“Les Capulet et les Montaigu”, 1830). Sous la baguette de Bruno Campanella et dans une mise en scène de Robert Carsen datant de 1996, Ekaterina Siurina (Giuletta) et Karine Deshayes (Romeo) incarnent le couple légendaire. Une production agréable sans être exceptionnelle.
Ne vous y trompez pas: I Capuleti e i Montecchi est tout sauf une mise en musique de la célèbrissime pièce de Shakespeare, Roméo et Juliette. Le livret de l’opéra, rédigé par Felice Romani, puise sa source dans une autre version du mythe, la toute première, celle de Luigi da Porto (datant de 1535). L’action est resserrée autour du drame, sans laisser place à l’éclosion de la romance: les amants sont déjà épris l’un de l’autre au lever du rideau, c’est donc l’impossibilité de leur amour plus que leur amour en soi qui constitue la thématique centrale de l’intrigue. La rivalité ancestrale des deux familles est exacerbée au point que les clans ennemis ne parviennent même pas à la réconciliation quand ils découvrent avec effroi les amants morts: contrairement à la pièce de Shakespeare, la représentation se referme sur une confrontation marquant le renouvellement de la haine (“Tués ! Par qui ?” demandent les Capulet ; “Par toi, coeur sans pitié.” répondent les Montaigu).
Robert Carsen propose une lecture tout à fait intelligente d’une tragédie lyrique finalement assez austère, sans bal, sans scène du balcon, sans mariage secret. La sobriété du décor et la demi-obscurité enveloppant constamment la scène traduisent bien la sombre atmosphère qui caractérise l’opéra. Avant même le début du spectacle, Carsen matérialise l’omniprésence de la violence: des épées sont plantées devant la demeure des Capulet, dont le mur extérieur est éclaboussé d’un rouge sang. Les teintes pourpre, noire et bronze empêchent la lumière de se propager, créant des zones d’ombre et ne laissant se déployer que quelques rais de lumière au milieu des espaces vides. Les grandes cloisons enferment les personnages tantôt au sein de leur clan, tantôt dans la solitude, au coeur du combat ou au plus près de la mort. Dans ce cadre tragique et étouffant, la robe blanche de Giuletta surgit comme un éphémère symbole d’innocence et d’espoir; le contraste est d’autant plus bouleversant dans la scène finale, quand la lumière éclatante qui tombe sur son corps inanimé abolit la noirceur terrifiante du tombeau.