Musicalement, rien à dire : nous avons passé une sublime première d’Alceste à l’Opéra de Lyon, grâce à l’énergie folle qui, débordant de Stefano Montanari, s’est transmise aux musiciens. La distribution de cette tragédie-opéra de Gluck dans la deuxième version de Paris (donc en français), choie les premiers rôles, lumineux : Karine Deshayes et Julien Behr. Et si le collectif de La Fura dels Baus n’est jamais à court d’idées astucieuses, cette fois-ci la cohérence globale n’atteint pas le niveau suffisant pour conquérir totalement le public.
Pourtant, ça commence avec une belle trouvaille : transformer le seuil de l’œuvre, son Épître dédicatoire, en prologue cinématographique, ou plutôt en pub’ qui précède le film principal. La BMW dans laquelle le couple de héros quitte son charmant domaine méditerranéen (ne serait-ce pas de la publicité cachée, au fait ?) grimpe les collines et parcourt la campagne en routes serpentines. Et au moment où Admète allume la radio, l’orchestre entre, et on est vraiment dans le spot de la voiture de sport sur fond de musique classique : j’ai adoré cette transposition multimédiale ingénieuse. Bientôt cependant, elle tourne au message de sécurité routière, car une violente dispute conjugale fait dérailler la voiture, entrer dans le coma le roi de Thessalie et mettre sur les épaules de son épouse Alceste une lourde responsabilité dans l’accident.
Il en ressort comme fil conducteur que la reine fragilisée devient perméable à des discours dénués de toute rationalité : le grand-prêtre est un Raspoutine séducteur (Alexandre Duhamel, très charismatique et hiératique), dont le hocuspocus instille à Alceste l’idée de son sacrifice. Celui-ci assumé, la suite des événements – descente aux enfers, dispute entre Admète et Alceste pour savoir qui aura le droit de mourir pour l’autre et intervention du demi-dieu qui sauvera les deux – n’est in fine qu’une émanation du cerveau comateux d’Alceste… et on peut tout à fait comprendre son désir d’être sauvée par le séduisant Hercule (Thibault de Damas, baryton-basse vigoureuse).
La rationalisation du livret passe donc par la psychologisation – jusque-là, c’est une interprétation intéressante. Ce qui pose en revanche souci, c’est la cohérence interne : dès lors qu’Admète est bel est bien guéri par le sacrifice déclaré d’Alceste – et aucun élément de la mise en scène ne vient contredire cette intention originale du livret –, la pensée miraculaire bute sur le réalisme rationnel, pragmatique, psychologique et médical avec lequel est traité le rôle de la reine. On met un instant à saisir la portée de la surprise finale (qu’on ne révélera pas ici), mais son effet déroutant n’est pas résorbé, faute de logique : on ne sait à quel saint se vouer en définitive, dans cette lecture.