Existe-t-il un ouvrage lyrique plus réjouissant qu’Ariane à Naxos ? Avec son opéra dans l’opéra, ses subtils exercices de style, sa galerie de personnages fantasques, son mélange parfait de légèreté mozartienne et de profondeur wagnérienne, l’œuvre de Richard Strauss est une boule à facettes lyrique qui ne demande qu’à briller de mille feux.
Dans la nouvelle production du Capitole de Toulouse, le comédien et metteur en scène Michel Fau s’approprie brillamment le livret du prologue. Cette première partie de l’ouvrage n’est pas encore celle de la mise en abyme – les personnages débattent de la représentation qui constituera la deuxième partie – mais Fau s’emploie déjà à la mettre en œuvre, avec une trouvaille qui produit son effet : au-dessus de la fosse, la scène représente une fosse... au-dessus de laquelle une scène est à son tour dévoilée, dans un savoureux effet de poupées russes.
En explorant la dimension verticale du théâtre, Fau souligne habilement les grotesques enjeux de pouvoir qui régissent ce prologue : incarnation rigide et loufoque de l’autorité suprême, le Majordome lance ses directives absurdes du haut de sa scène dorée, tandis que le Compositeur, le Maître de musique, le Maître à danser et Zerbinetta se disputent dans la fosse – la fausse fosse, au-dessus de la vraie. Si le tableau manque de profondeur, les personnages se marchant parfois sur les pieds lors de leurs déplacements, cela donne au spectacle une allure réjouissante de théâtre de marionnettes. Dans des costumes riches et colorés (somptueusement réalisés par David Belugou), les protagonistes jaillissent de leurs loges remontés comme des coucous. Entre deux claquements de portes et autres essayages de perruques grand-guignolesques, on se délecte de l’excellent Florian Carove, qui donne au raffinement viennois de son Majordome des poussées hilarantes de dictateur chaplinesque. Mais le personnage majeur du prologue reste le Compositeur, formidablement incarné par Anaïk Morel : la mezzo-soprano déploie un timbre ardent d’un bout à l’autre de son registre, alliant agilité de la ligne mélodique et ampleur wagnérienne du phrasé. Pour ne rien gâter, Werner Van Mechelen se distingue en puissant Maître de musique et Manuel Nuñez Camelino fait un très juste Maître à danser.
La deuxième partie de l’ouvrage laisse plus circonspect. Après les débats du prologue, voici le temps de la représentation dans la représentation ; voici à proprement parler Ariane à Naxos. Michel Fau a délibérément refusé la mise en abyme là où on l’attendait : la « fausse » scène occupe à présent toute la « vraie » scène, à l’exception de quelques parenthèses bouffes réalisées à l’avant-scène. L’exercice de style est parfois réalisé à la perfection : le décor kafkaïen, avec la gueule ouverte de la grotte et les arbres coupés au couteau, place le chant straussien dans son temps ; le char intégralement doré de Bacchus est joliment kitsch ; les interventions figées des trois Nymphes aux couleurs criardes proposent enfin une parodie savoureuse des wagnériennes Filles du Rhin, exact pendant de la partition.