Invité pour inaugurer la saison TranscenDanses au Théâtre des Champs Elysées, le Ballet National de Norvège nous présente trois œuvres du chorégraphe Jirí Kylián, directeur artistique et choregraohe résidant du Nederlands Dans Theater pendant trente ans et artiste emblématique de la scène contemporaine. Auteur d'une danse subtile, nuancée, Kylián met en scène l’humain, ses faiblesses et sa grâce. Composé à des époques différentes, le triptyque d’œuvres représentées par le Ballet National de Norvège permet ainsi de voyager à travers l’univers du chorégraphe et de comprendre son évolution artistique.
Créée en 1995 pour le Nederlands Dans Theater, Bella Figura fait aujourd’hui partie des œuvres de Jirí Kylián les plus dansées dans le monde. L’œuvre matérialise la sensibilité de l’artiste en s’interrogeant sur l’apparence du danseur qui doit réprimer son émotion et faire " bonne figure " en scène. Des silhouettes fragiles apparaissent, évoluent, se rencontrent et se brisent, laissant entrevoir - dans la pénombre feutrée de la scène – un bouleversement assourdissant. Ombres glacées et pantins désarticulés, ces corps idéaux grimacent et tremblent à chaque instant, sans pouvoir réprimer les secousses d’un tumulte intérieur. L’alternance entre la musique baroque de Vivaldi, Torelli et Marcello et la composition contemporaine de Lukas Foss renforce le contraste incarné par ces créatures à la sensualité éthérée et l’abandon laconique de leurs corps. L’interprétation poétique de Maiko Nishino nous touche par sa vulnérabilité dans cette œuvre dont l’esthétique se fissure en permanence pour laisser apparaître et vivre l’artiste.
Troublante, la ressemblance de Gods and Dogs conçue en 2008 par Jirí Kylián, avec son pendant Mémoires d’oubliettes, créé un an plus tard, représente une nouvelle étape dans le développement artistique du chorégraphe et de son approche du mouvement. Dans une introspection qui chemine toujours plus loin, le chorégraphe pose son regard sur l’enfance et la débilité du corps – infantile ou malade. Vêtus de langes et de bandages dissimulant leur fragilité, les danseurs sont secoués de mouvements tortueux, centripètes, incarnant une intense émotivité intérieure. Le mouvement s’ancre davantage dans le sol, des sons artificiels entrecoupent le quatuor à cordes de Beethoven, tandis que le décor, toujours plus minimaliste, renonce à la poésie pour ne projeter qu’une lumière blafarde sur la scène. La performance générale des artistes est homogène, bien que l’on remarque plus particulièrement la maîtrise de Gakuro Matsui, soliste d’une grande qualité, et le mouvement très fluide de Christine Thomassen et Garrett Smith.