Décor nu, abstrait. Au centre de la scène, un immense escalier noir, qui se prolonge hors de la vue. Un écran géant couvre en arrière plan toute la largeur du plateau, et vient se refléter dans les miroirs latéraux. Immersion visuelle, qui renforce la réalité scénique. A l’écran, un gros plan sur des yeux fatigués, qui se révèleront être ceux de Boris.
Sur le thème du basson qui ouvre l’opéra, un ballon roule et vient tomber dans le trou de l’escalier. C’est celui de ce jeune garçon habillé en rouge, innocente figure du tzarévitch Dmitri, qui disparaît comme le ballon, et dont le fantôme hantera son assassin. Il réapparaîtra en chair et en os à la fin du cinquième tableau lors du délire du tzar, se multipliera en une foule de garçon en rouge et se transposera sur l’écran dans le dernier tableau. La matérialisation sur scène du fantôme de Dmitri, en mettant en exergue le conflit inextricable de l’innocence face à la culpabilité d’un pouvoir usurpateur, est l’une des plus belles trouvailles du metteur en scène Ivo van Hove. Elle recentre en outre la trame psychologique sur les démons de Boris, qui dans cette première version de 1869 prennent justement l’ascendant par rapport à la trame purement narrative, les scènes polonaises ayant été ajoutées par la suite dans la version de 1872. Le fil narratif étant de ce fait plus décousu, la récurrence et la fixation de l’image du tzarévitch renforcent l’unité de l’œuvre, la situant sur un plan psychologique.
Dès le premier tableau, le peuple est là comme une masse indifférenciée, habillé dans des habits gris sombre qui renvoient à une figure contemporaine de la banalité. Avec une vue en contre-plongée, l’écran le met en abîme, soulignant sa dimension froide et impersonnelle. Une foule qui pourrait être n’importe quelle foule, soucieuse d’être gouvernée. De la Russie du temps des troubles, il ne reste que les noms et la prose de la tragédie de Pouchkine. Toutes références annexes sont balayées dans la mise en scène. Pas de fresque épique, pas d’or ni de pourpre, pas même de cloche, comme dans les mises en scènes historiques du Bolshoï mais une volonté de donner une résonnance universelle au drame de Boris, de l’extraire de ses références historiques pour le plier à celles de notre époque. De ce fait, la décontextualisation à l’œuvre n’est pas tant une transposition moderne qui forcerait les associations, qu’une neutralisation du contexte, visant à rendre Boris le plus proche possible de nous, d’où d’ailleurs l’immersion du dispositif scénique. Aussi le tzar est-il vêtu comme tout homme politique, en simple costume. La montée des marches, lente et difficile, est pour lui un chemin de croix, plus qu’une ascension vers le trône.