La venue à la Philharmonie de Paris pour trois concerts de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig et de son directeur musical, Riccardo Chailly, était un événement très attendu. Comme les deux précédents, ce dernier concert était consacré à Richard Strauss et Mozart, une association intelligente quand on sait la passion du premier pour le second et que Richard Strauss a souvent dirigé l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig dans la musique de Mozart. Cette troisième soirée fut tout à fait exceptionnelle.
Ce concert débutait par un Mort et transfiguration tout simplement ébouriffant. Choisissant un tempo retenu, Riccardo Chailly installait dès les premières secondes de cette œuvre une véritable ambiance grâce à un pianissimo initial haletant et à des interventions des différents instruments solistes qui concouraient à créer une vraie fresque sonore. La suite du propos, toujours construit sur la longueur, s’apparentait au flux et au reflux d’une musique changeante. Les innombrables détails de cette pièce très finement orchestrée, sollicités par la direction passionnée et passionnante d’un Riccardo Chailly qui ne laisse rien au hasard, étaient tous audibles. Les cordes au son précis et soyeux, les rugissements des contrebasses (placées à jardin), les accords toujours précis et plaqués des cuivres, les traits des bois, parfois comme hallucinés, tout concourait à un véritable bonheur de chaque instant pour l’auditeur. Et les tutti déchaînés à plusieurs reprises par Riccardo Chailly, toujours construits sur une percussion puissante et précise, étaient véritablement fracassants mais sans jamais déclencher de saturation dans une salle décidément de grande qualité. Un début de concert stupéfiant !
Ce programme se poursuivait par un Concerto pour clarinette de Mozart, lui aussi exceptionnel. Avec un orchestre réduit à une trentaine de cordes, à quelques bois et à deux cors, Riccardo Chailly réussit un Mozart subtil, raffiné et touchant. Ici aussi, la lisibilité est exemplaire, permettant notamment de goûter les traits descendants et ascendants des bassons que l’on entend rarement à ce point et les contre-chants des cordes graves. Le tempo est juste, les rebonds incessants et le phrasé, qui allège toutes les fins de phrases, d’une élégance inouïe. Quant à Martin Fröst, il transforme sa clarinette, dont il possède la silhouette longiligne, en musique. Les incroyables nuances, la précision exceptionnelle du doigté, le souffle qui semble inépuisable, tout est miraculeux et naturel chez ce surdoué qui offre, lui aussi, un Mozart lumineux, élégant et gracieux. L’allegro initial jubilatoire, l’andante suspendu au ciel et le rondo final espiègle et joueur vont sans doute au-delà de la musique : fascinant ! En bis, Martin Fröst propose une improvisation originale sur les thèmes du « Till l’Espiègle » programmé après l’entracte. Triomphe légitime assuré et chapeau l’artiste !